Billie Joe, Norah, Phil et Don: les musiciens de sang

Billie Joe Armstrong est un punk de la deuxième – sinon de la troisième – génération, leader de Green Day. Norah Jones est la fille d’un musicien légendaire d’un autre continent, révélée par le biais d’une musique légère aux accents jazzés. Penser que ce duo aux antipodes musicaux  allait se plonger dans l’Americana de souche relevait de la pensée magique.

Par Philippe Rezzonico

Néanmoins, leur disque conjoint, Foreverly, est non seulement la preuve que le concept tient la route, mais nous propose l’album de reprises le plus étonnant qui soit, sans que l’on ait l’impression de déjà-vu. Admirons l’audace.

Ça tient beaucoup au choix du répertoire. Foreverly, comme son appellation le dévoile d’emblée (joli jeu de mots), a un lien avec les Everly Brothers, le duo de frangins qui, comme Elvis, a franchi la frontière country/western/bluegrass des années 1950 vers un genre plus près de la pop grand public.

Si Billie Joe et Norah avaient gravé les Bye Bye Love, Wake Up Little Susie et autres All I Have To Do Is Dream de légende, nous aurions eu droit à un album de reprises commun dont l’intention serait vraisemblablement mercantile. Le duo a plutôt choisi d’enregistrer intégralement les compositions de l’album Songs Our Daddy Taught Us, des Everly, paru en décembre 1958.

Billie Joe et Norah ont poussé le concept au point d’enregistrer en séquence les 12 compositions de l’album d’antan, si ce n’est que Down in the Willow Garden, initialement la deuxième piste de la face A du vinyle d’antan, est maintenant en position cinq du disque compact.

Pourtant, outre l’évidente similitudes des harmonies vocales, jamais n’a-t-on l’impression d’entendre un disque de « covers », les chansons n’étant pas identifiées à un artiste ou un groupe particulier dans la culture populaire. Du moins, de notre point de vue d’ici.

Peut-être que les fidèles de Billie Joe et Norah seront étonnés de les entendre chanter ces chansons. Peut-être autant que les fans des Everly Brothers en 1958, tiens.

Le disque Songs Our Daddy Taught Us fut le seul parmi les quatre premiers long-jeux (33-Tours) du duo (de 1958 à 1961) à ne pas figurer sur les palmarès américains.

Je ne parle pas du sommet. Pas figurer comme dans ne pas figurer nulle part.  Même pas proche du Top 100… Chanter ce genre de musique durant les années de révolution Rock n’ Roll, équivalait à chanter la musique de ses parents. Incompatible.

Les chansons sont pourtant splendides – toutes époques confondues – et notre duo d’aujourd’hui les interprète de façon respectueuse, avec une réelle sensibilité. Billie Joe et Norah n’ont pas de lien de parenté entre eux comme Phil et Don Everly, mais tous sont musiciens de sang quand vient le temps de se frotter à ce répertoire.

Les harmonies de Riving Gambler sont entrecoupées de pincées d’harmonica, Long Time Gone nous reste gravée en tête, la mélodie de Oh So Many Years est irrésistible, la tonalité de Who’s Gonna Shoe Your Pretty Little Feet? est estampillée années 1950, tandis que I’m Here To Get My Baby Out of Jail, avec Norah en avant-plan, ma foi, est peut-être aussi pertinente en 2013 qu’en 1958. Une réussite.

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Billie Joe + Norah, Foreverly (Reprise) 3 étoiles et demie.