Quand le printemps ressemble encore beaucoup trop à l’hiver, il n’y a rien de tel qu’un concert brûlant de passion et d’intensité pour faire grimper le mercure. Et Carlos Santana s’est fort acquitté de la tâche, mercredi soir, au Centre Bell.
Par Philippe Rezzonico
Il y a plusieurs façons d’analyser le spectacle d’un artiste qui a pratiquement 50 ans de carrière : la quantité d’immortelles qu’il offre, la durée du concert, l’instrumentation privilégiée, la complicité avec le public, les affres – ou pas – du temps sur l’artiste, les effets spéciaux., etc.
Dans ce dernier cas, Santana n’est certes pas Madonna ou Lady Gaga. Les images du jeune Santana à Woodstock, qui ont accueilli le guitariste et ses huit musiciens sur scène, avaient beau être renumérisées, ça faisait ordinaire à côté des productions visuelles de Katy Perry et de P!nk. Mais bon, on ne va pas voir Santana pour la quincaillerie. On va au concert pour l’entendre.
Et le croissement d’ouverture entre le passé et le présent a démontré d’emblée que le Mexicain âgé de 70 ans en a encore dans le manche… de guitare. En fait d’introduction, elle était chronologique, dans le sens que le trio d’ouverture était composé de trois chansons qui figurent sur le disque éponyme de 1969 (Soul Sacrifice, Jingo, Evil Ways).
Il m’est parfois arrivé de reprocher à Santana d’économiser ses « munitions » en spectacle, à savoir, intégrer des classiques entre des nouvelles compositions, ce qui garanti un minimum de plaisir, à défaut de provoquer un torrent de bonheur. Comprendre que de cette façon, des chansons moins essentielles « cassent » le rythme d’enfer que le spectacle aurait pu prendre. Pas hier soir.
Tir groupé
En fait, Santana n’a pas fait que s’offrir un trio de choc pour amorcer son concert. Des tas d’artistes et de groupes font ça. Il n’a, essentiellement, pas mis le pied sur le frein durant 40 minutes, car la foudroyante Everybody’s Everything, le doublé coup de poing Black Magic Woman/Gypsy Queen et l’irrésistible Oye Como Va étaient de la partie.
Bien sûr, un défilé de monuments comme ceux-là, ça impressionne. Mais ça frappe encore plus l’imagination quand elles sont offertes avec éclat. Hier, Cindy Blackman (batterie et épouse de Santana), Karl Perrazo (percussions/tambours) et Paoli Mejias (congas) ont rivalisé de puissance de frappe et de rythmique supersonique. Plus que d’habitude, semble-t-il. Et ça entraînait tout le monde.
Black Magic Woman, par exemple, était bien supérieure à la version entendue dans ce même Centre Bell en 2010. Globalement, l’instrumentation était fiévreuse, presque frénétique par moments, et le jeu de l’ami Carlos frisait l’abandon, ici et là. Pour être franc, quand il a amorcé Europa après avoir souligné que notre énergie était de la « positive divine fury », il était temps de souffler.
Mais pas longtemps.
Il arrive parfois à Santana d’amener des « amis » ou des influences dans ces spectacles. Parfois, il s’offre une chanson intégrale, tantôt, il n’intègre qu’une ligne de guitare universelle. Hier, il a livré intégralement She’s Not There, des Zombies, qui a eu droit à une interprétation dynamitée des chanteurs Andy Vargas et Ray Green.
En revanche, il a offert une version personnelle et écourtée de A Love Supreme, de John Coltrane. Dans le passé, cette dernière était fréquemment intégrée à Evil Ways. Cette fois, elle a été jouée indépendamment. N’empêche, la substitution du saxophone par le trombone, cela a son charme.
Intégration/Fusion/Destruction
Puis Santana a pris comme base de travail Total Destruction to Your Mind, une chanson des années 1960 de Swamp Dogg (long-jeu en 1970), et, comme on le fait en jazz, elle est devenue la charpente d’un délire musical à géométrie variable avec des ajouts et des emprunts aux Rolling Stones (Satisfaction, Miss You), aux Temptations (Get Ready) et aux Beatles (Day Tripper).
Si on déteste le jazz ou les pot-pourri, l’exercice a de quoi être frustrant. Mais ici, c’est le musicien Santana qui s’exprimait. Et dans la forme qu’il tenait hier soir, il aurait intégré Petit papa Noël que je m’en serais royalement foutu. Anyway… iI m’avait déjà eu avec le doublé funk/gospel Right On/UMI Says.
Dans les faits, Santana a découpé son spectacle en trois parties : un premier bloc de classiques de la première heure, un noyau central plus « expérimental », même si nous n’étions quand même pas en mode «révolution», et un dernier segment avec les chansons les plus populaires des vingt dernières années : Smooth, Maria Maria, Corazon Espinado, Foo Foo et Mona Lisa.
Durant la première décennie des années 2000, il y avait un clivage énorme en spectacle entre le public de la première heure de Santana et tous les jeunes qui l’avaient découvert avec Supernatural (1999). Les premiers réagissaient uniquement sur les vieux tubes et les jeunes ne se levaient que pour les nouveautés. Fini, tout ça.
Les « jeunes » sont maintenant dans la trentaine avancée et les vieux de la vieille – pas loin de l’âge de Carlos – restent assis presque tout le temps, sauf au parterre. Au final, il y a désormais une bien meilleure unité dans l’assistance.
Et, curieusement, en proposant un spectacle majoritairement chronologique allant des plus anciennes chansons aux plus récentes – les artistes font généralement l’inverse -, Santana a peut-être trouvé la combine pour rallier tout le monde.