Christine & the Queens : une reine digne de sa couronne

Christine et ses Queens. On chante, on bouge et on danse. Photo courtoise MEL/Frédérique Ménard-Aubin.

« Je suis au chômage!!! Tu chantes trop bien pour moi!!! » Ce cri du cœur, Héloïse Letissier, mieux connue sous le nom de Christine & the Queens, l’a hurlé à la salle comble du Métropolis qui venait d’interpréter les paroles de Nuit 17 à 52, comme s’il s’agissait d’un succès vieux de 20 ans.

Par Philippe Rezzonico

L’improvisation – très réussie, parce que chantée dans la clé de la chanson – fut l’apothéose d’un spectacle annoncé comme un triomphe qui a finalement été de l’ordre de la consécration pour la Française qui en était à un premier passage au Québec.

Sensation de l’Hexagone depuis 12 mois, cette prestation de 85 minutes de l’artiste originaire de Nantes fut à la hauteur des attentes générées par le disque Chaleur humaine, le clip primé de Saint-Claude et les prestations télévisées vues en 2014 et 2015 aux Victoires de la musique.

Bien mieux, le spectacle fut l’occasion de démontrer que Christine n’est pas que la reine actuelle de la France, mais peut-être bien aussi celle de nombre de déclinaisons artistiques.

La musique…

Il y a, bien sûr, la musique, qui est la raison pour laquelle nous étions entassés comme des sardines lors de cette soirée d’ouverture glaciale du Festival en lumière qui nous rappelait le froid de canard de la première édition, en 2000.

Cette musique dansante qui repose sur des pulsions sonores denses (Starshipper, Dessassossego), des ondes sensuelles aguichantes (Amazoniaque) et des livraisons endiablées (Nacissus is Back, Ugly Pretty).

La danse…

Il y a, ça va de soi, la danse, indissociable de l’ensemble, quand Christine et ses deux danseurs masculins imitent leurs mouvements en synchronismes, ou, au contraire, sont complémentaires et asymétriques dans leurs gestuelles, afin de raconter une histoire (Half Ladies, Science-Fiction et Christine, avec un danseur qui marche sur ses mains).

Et Christine, la danse, c’est aussi son truc. Dans son veston argenté/doré qui fait écho à Elvis, elle écarte les jambes comme le faisait le jeune King, elle multiplie les déhanchements du bassin à la façon Michael Jackson et elle enchaîne les pas de danse comme le fait Justin Timberlake. Cette fille a l’âme d’un mec dans un corps de femme…

Le visuel…

Il y a, également, une proposition visuelle riche pour presque chacune des livraisons. Des ombres chinoises pour It, des projections de Christine et de ses danseurs qui se dédoublent durant Half ladies (impressionnant) et une finale baignée dans des faisceaux de lumières pour Here, après des projections vues par le prisme de miroirs déformés.

Chrisitine, ou l'art de marier textes, musique et dance. Photo courtoisie MEL/Frédérique Ménard-Aubin.

Sur cet aspect, Christine & the Queens prouve qu’elle est de ces jeunes artistes venant d’Europe tels Fauve et Stromae qui ont une esthétique et un apport multimédia bien plus original que ceux de nombre d’artistes anglo-saxons américains. Il y a, à mes yeux, une réelle école européenne de pensée et de conception.

Et Christine…

Il y a, surtout, Christine elle-même. Tout aussi généreuse sur scène que lors qu’elle accorde une entrevue formelle à Radio-Canada. Son sourire craquant et sa façon de parler à son auditoire ont tout pour plaire. Elle s’adresse à la foule à la deuxième personne, comme si elle voulait s’adresser individuellement à chaque membre de l’assistance.

« Tu peux être qui tu veux ce soir. Moi, je suis le petit garçon excité que j’ai toujours voulu être. »

Pour cette femme qui affiche sa bisexualité, le message est clair : soi toi-même. Tout est permis.

Le rapprochement est d’autant plus immédiat avec cette artiste dont les amateurs vivaient une relation à distance avec elle depuis plusieurs mois. Dans le Métropolis bondé, elle nous transporte à Londres en reprenant l’émouvant classique de Christophe (Paradis perdus) qui cadre tellement bien avec sa propre histoire.

Un jeu de lumières digne... de Montréal en lumière. Photo courtoisie MEL/Frédérique Ménard-Aubin.

Elle prend place à l’avant-scène pour nous interpréter Chaleur humaine qu’elle boucle en lançant son bouquet de fleurs dans la foule, telle une mariée qui aurait autant de prétendants féminins que masculins au parterre.

Elle s’éclate avec la bonde Saint-Claude, lorsque les spectateurs reprennent le refrain à plein poumons. Cette foule battra la mesure à n’en plus finir durant Safe and Holy, du « disco a capella », comme elle avait spontanément entonnée les paroles de Say My Name, de Destiny’s Child, quand Christine l’avait improvisée une demi-heure plus tôt.

Quand Christine (ou Héloïse), vraiment émue, a quitté la scène, on savait tous qu’elle n’était pas au chômage, mais on entrevoyait plutôt un immense spectacle extérieur aux FrancoFolies au mois de juin. Quand, enfin, on l’espère, il fera aussi chaud dehors qu’il faisait chaud dans le Métropolis.