
Aretha Franklin a encore toute sa voix. Dieu que ça aurait pu être bon... Photo courtoisie FIJM/Denis Alix
O.k. Par quoi commence-t-on? La présence de trois ou quatre titres de légendes dans un spectacle de plus de 90 minutes? Les voix des choristes préenregistrées? Le lancer de la perruque? L’hommage bâclé à Whitney Houston? L’interprétation de la dernière chanson de la prestation dans les coulisses? Il y avait tout ça, mercredi, dans le spectacle d’Aretha Franklin qui fut l’un des plus déroutants qui soit.
Par Philippe Rezzonico
Commençons par une bonne nouvelle, tiens : Aretha Franklin va mieux. Amincie, en bien meilleure voix que lors de son passage de 2008, et visiblement d’excellente humeur, la reine de la soul désormais âgée de 72 ans était resplendissante. Nous sommes sincèrement heureux pour elle.
C’est après que ça se gâte. Il y a bien longtemps, un acteur important de l’industrie du spectacle m’avait expliqué la teneur de l’expression : spectacle de bullshit. Il s’agit d’une prestation où une légende ne livre qu’une infime partie de ses succès historiques, par paresse, ou parce qu’il (ou elle) a oublié ce qui a fait sa renommée.
Al Green a fait ça à Montréal. Et Smokey Robinson. Et Jackson Browne. Et Aretha en 2008… et en 2014. Combien avons-nous entendu de classiques des deux albums lé-gen-dai-res d’Aretha – I Never Loved A Man The Way I Love You (1967) et Lady Soul (1968) – lors de ces deux tournées? Cinq.
Chain of Fools – moins bonne hier qu’en 2008 – et Respect (solide), lors des deux tournées; (You Make Me Feel) Like a Natural Woman, en 2008; Ain’t No Way, seulement lors du deuxième show de 2008; et I Never Loved A Man (The Way I Love You), dont l’interprétation d’hier fut le grand moment de la soirée. Le seul moment, en fait, où Aretha a mis ses tripes sur la table, outre le long segment gospel où elle nous a fait comprendre que son cancer était en rémission.
Cinq! Jamais eu droit à Drown In My Own Tears, Dr. Feelgood, Do Right Woman – Do Right Man, People Get Ready, Come Back Baby, Since You’ve Been Gone (Sweet, Sweet Baby), la sublime Baby, Baby, Baby et l’historique A Change Is Gonna Come, de Sam Cooke, l’ami de la jeune Aretha au début des années 1960.
Comprenez-moi, j’accorde toujours le privilège à l’artiste d’offrir ce qu’il désire interpréter. Mais il faut que ce soit dans un spectacle de 22 ou 23 titres, où je sais que les spectateurs auront droit au minimum syndical. Dans un show de 14 titres, tu n’as pas le droit de choisir entre I Never Loved… et Natural Woman… Tu fais les deux.
C’est d’autant plus frustrant quand on voit à quel point la reine a encore de la voix à revendre. Quel spectacle aurait-elle pu nous concocter…
Les « chœurs » en boîte
Il faudrait aussi m’expliquer un truc… Quand tu es accompagnée par une section de DIX CUIVRES formée de musiciens québécois (bon solo du saxophoniste Jean-Pierre Zanella, soit dit en passant), comment se fait-il que tu n’aies pas les moyens de te payer trois choristes? Toutes les voix d’accompagnement étaient préenregistrées! Jamais vu ça, sauf lors de spectacles où l’on sait à l’avance que la musique est en boîte.

Dix-neuf musiciens sur scène...et des voix de choristes préenregistrées. Photo courtoisie FIJM/Denis Alix
Ça ne serait pas si grave si, par deux fois, les bandes se sont fait entendre, sans préavis. Outre le malaise évident, cela a complètement torpillé l’amorce de Freeway of Love qui allait suivre Think. Aretha a plaisanté en disant que quelqu’un allait voir son chèque amputé, je me dis qu’elle devrait congédier ce type. Anyway… Madame Franklin a l’habitude de congédier son personnel, pour le réembaucher quelques jours plus tard.
L’hommage à Whitney? Pas une vilaine intention en soi. Mais si tu décides de prendre place au piano pour chanter I Will Always Love You, tu nous la chante pour vrai. Pas avec cette version charcutée durant laquelle on voit défiler des images au montage discutable… Une fausse affiche d’Aretha et de Whitney sur laquelle il est écrit que « ce duo ne se produira jamais »? Très mauvais goût.
Sur ce plan, la finale de ce spectacle va demeurer à jamais gravée dans nos mémoires. Au rappel, Aretha salue, enlève ses faux cils, arrache sa perruque et la lance dans la foule avant de retraiter dans les coulisses. Onde de choc. À côté de ça, Lady Gaga fait figure d’amateur.
Les musiciens étirent et étirent encore l’instrumentale There’s No Business Like Showbizness (quel choix bizarre!), une assistante vient récupérer la perruque, mais la chanteuse ne remonte pas sur les planches. Confusion dans l’assistance. Des gens quittent, d’autres se demandent ce qui ce passe. Le chef d’orchestre semble tout aussi perdu devant les musiciens.
La musique cesse. On entend la voix d’Aretha qui nous apprend qu’elle veut nous laisser sur un bon souvenir. Et elle amorce The Way We Were, de Barbra Streisand, qu’elle va enregistrer sur son prochain disque. Mais elle ne revient pas sur scène.
C’est elle qui chante? C’est un enregistrement de la chanson déjà gravée? Plausible, non, après le coup des « chœurs »? Un placier qui me connaît me fait signe de m’avancer jusqu’à la scène. En se tortillant, on arrive à voir furtivement entre les rideaux la reine de la soul chanter en coulisses. Et elle le fera jusqu’à la fin. Le grand délire, cette fin de prestation.
En lice pour la pire finale de l’histoire et le pire spectacle – de loin – vu au FIJM cette année.