FIJM 2014: l’album du jour (6): labourer des terres déjà défraîchies

Le dernier album de Kenny Garrett – paru en septembre dernier – est l’occasion pour le jeune quinquagénaire, toujours fidèle à lui-même, de saluer certains de ses amis.

Par François Vézina

Le saxophoniste – qui doit défendre l’album au théâtre Jean-Duceppe, mardi – ne déroge pas de ses recettes habituelles qui ont fait de lui un des plus importants musiciens de la scène jazzistique: de jolis thèmes, des solos enlevants et une section rythmique endiablée.

Chaque plat est assaisonné de juste assez d’épices pour lui ajouter un peu de saveur même si Garrett prend bien soin de ne pas exagérer les doses.

Faut pas trop faire peur aux auditeurs.

L’album s’amorce par une bousculade générale: A Slide Order of Hijiki – en hommage au pianiste Mulgrew Miller – est un court hard bop apprêté à la sauce contemporaine.

Certains hommages sont plus réussis que d’autres. Le solo aux effluves nord-africains du saxophoniste donne du piquant à Hey Chick (pour Chick Corea, bien sûr). Garrett devient encore plus aventureux pendant, ô paradoxe!, Lincoln Center (sans doute un coup de chapeau au directeur artistique Wynton Marsalis).

On peut parfois reprocher à Garrett de ne pas avoir osé de trop s’éloigner de certains de ses modèles. Chucho’s Mambo (pour Chucho Valdés) et J’Ouvert (pour Sonny Rollins) ne s’enfoncent pas trop profondément dans les Caraïbes. C’est propre, c’est lisse mais ça manque un peu d’éclat.

Le saxophoniste retrouve son mordant habituel au cours de la pièce-titre aux accents très coltraniens. Il s’y montre fort à l’aise au soprano tandis que l’accompagnement de Vernell Brown est digne d’un McCoy Tyner.

Son goût de la mélodie bien léchée amène Garrett à interpréter I Say a Little Prayer, de Burt Bacharach. Le saxophoniste est un sacré enjôleur, caressant amoureusement le thème popularisé par Dionne Warwick. Son lyrisme y trouve un territoire fructueux

Comme Miles Davis l’avait fait pour lui jadis, Garrett n’hésite pas à faire confiance à de jeunes musiciens talentueux ayant un bon sens du rythme et de l’invention. D’ailleurs, il lui arrive de laisser à Brown ou à son autre pianiste, Benito Gonzalez, l’honneur du premier solo. La vigueur et la créativité des rythmiciens empêchent l’ensemble de tomber dans la routine et la monotonie.

On peut tout de même s’étonner d’entendre Garrett s’installer à la place de l’un de ses pianistes pendant Brother Brown. Il y joue comme un élève bien appliqué sous les ronrons d’un trio à cordes. D’ailleurs, il faudra bien qu’on m’explique un jour la fascination de certains jazzmen pour les cordes.

Kenny Garrett a réalisé un fort bel album, plus joli qu’excitant. Son intention n’était sûrement pas de repousser les limites du jazz mais d’en explorer les territoires déjà labourés. Sur ce plan, il n’aura pas démérité sa candidature au Grammy remis à l’album de jazz instrumental de l’année en 2013.

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L’album du jour: Kenny Garrett; Pushing the World Away

Étiquette: Mark Avenue

Parution: Septembre 2013

Durée: 72:15

Musiciens: Kenny Garrett (saxophone alto, saxophone soprano, piano), Benito Gonzalez (piano), Vernell Brown (piano), Corcoran Holt (contrebasse), Marcus Baylor (batterie), McClenty Hunter (batterie), Mark Whitfield (batterie), Rudy Bird (percussions), Ravi Best (trompette) + section à cordes

FIJM: Kenny Garrett Quintet, le mardi 1er juillet à 21h30 au théâtre Jean-Duceppe