FIJM, Jour 11: last call et abandon

The Specials: trois décennies d'attente qui en valaient la peine. Photo courtoisie FIJM

Après avoir vu 68 groupes ou artistes en performance aux FrancoFolies, au Festival folk sur le canal, au Festival international de jazz de Montréal, au Mondial Loto-Québec et même hors-festival (au Centre Bell) depuis le 7 juin, à un moment donné, il faut lâcher prise.

Par Philippe Rezzonico

Lâcher prise comme dans « ne pas prendre de notes », ne fut-ce que pour te rappeler l’une des raisons pour laquelle tu fais ce métier-là, à savoir, un amour pas mal inconditionnel de la musique. Et aussi pour te laisser porter par les derniers spectacles de ce mois absolument mémorable. C’est ce qui s’est produit dimanche, lors de cette ultime soirée au FIJM. Last call, comme on dit.

Je me disais que c’était un peu futile d’aller voir les Porn Flakes chanter des chansons des Rolling Stones, alors que l’on a vu les Rolling Stones les chanter le 9 juin. Mais comme un grand pote qui a vu les vrais Stones plus de cent fois s’y trouvait, c’est là que s’est amorcée la soirée.

Pas eu de mal à repérer mon ami. Il était devant la scène blues, dix pieds devant Sébastien Plante, des Respectables, qui s’éclatait à plein. Cela dit, Plante, le guitariste Dan Georgesco (Too Many Cooks) et leurs collègues sont des historiens des Stones : la gestuelle de Plante, les riffs de Georgesco et l’énergie communicative sont d’une précision remarquables.

Les Porn Flakes: la maîtrise du catalogue des Rolling Stones. Photo Victo Diaz Lamich/Courtoisie FIJM

Et quand tu as Lulu Hughes pour venir chanter Gimme Shelter avec Plante, tu es en voiture. De Time Is On My Side à Satisfaction, tout en passant par Street Fighting Man, il n’y avait rien à jeter.

Jerry Lee Proulx

À 20 heures, autre saut dans le temps avec Israel Proulx sur la scène de la rue Sainte-Catherine. Flanqué de Noël Thibault, des Howlin’ Hound Dogs, et d’autres collègues musiciens réunis sous l’appellation de The 5 Alley Cats, notre Jerry Lee Lewis québécois n’a pas son pareil pour galvaniser les foules.

Le FIJM lui a offert cette année cette plage de luxe après qu’Israel ait mis le feu au pub local qui était installé devant l’Astral en 2012. Avec leurs vêtements d’époque, les boys ont fait danser la Catherine avec les Whole Lotta Shakin’ Goin’ On et les propres relectures/traductions d’Israel. Entendre Judy en français, faut le faire!

Proulx, fringué comme un Elvis mouture 1955, peut martyriser ses ivoires, mais aussi laisser la place à Thibault qui se sert à merveille de sa guitare à double manche. Les deux ont offert une livraison vibrante de Carry On, de Jimmy Newman.

Israel Proulx (à l'avant-scène), Noël Thibault (guitare double manche) et leurs collègues des 5 Alley Cats. Photo FB/Gracieuseté Noël Thibault.

Et puis, ça me fait toujours un petit quelque chose d’entendre Crazy Arms, la première chanson de Jerry Lee enregistrée chez Sun Records, interprétée par Proulx.

Pas d’ouragan

Direction le Métropolis pour la suite des choses. Une idée d’autant plus méritoire que l’on voit que les nuages vont crever sous peu. On arrive quand s’escrime The Little Hurricanes sur scène, en première partie des Specials.

Depuis le succès des White Stripes il y a déjà plus de dix ans, on ne cesse de compter les duos guitare-batterie qui ont vu le jour. Si The Black Keys sont parmi les fleurons, on prédit moins d’avenir ce duo américain.

Lui, il joue bien de la guitare, mais le groupe n’a pas encore de chansons valables. Elle, elle joue mieux de la batterie que Meg White, mais elle a moins de voix que l’ex-femme de Jack, ce qui n’est pas peu dire. On passe…

Vraiment Special

Depuis l’annonce, je trépigne d’impatience. The Specials à Montréal? Vraiment? Ce groupe-phare du mouvement ska 2 Tone de la fin des années 1970 a repris ou composé quelques-unes des chansons les plus essentielles de ce catalogue vintage.

De 1979 à 1981, le collectif a logé sept chansons parmi le Top 10 de Grande-Bretagne avant de se séparer. C’est à cette période que le groupe était venu pour la première et seule fois à Montréal.

Comme tous les bands, il y a eu des retrouvailles dès 1993, mais pas de retour sur nos terres. Il aura fallu attendre 20 autres années. Toute une vie, finalement, pour des jeunes d’antan comme moi qui n’avaient pas vu le show présenté il y 32 ou 33 ans à Montréal. Dire que j’attendais ça…

Lynval Golding, son chapeau sur la tête, et sa guitare rythmique bien en mains, est toujours là, comme Horace Panter (basse), Terry Hall (chant), Roddy Radiation (guitare) et John Bradbury (batterie). Et pour ce retour, les Anglais avaient décidé de nous offrir la totale.

Succès, succès, succès

Rien de moins que 12 des 15 chansons du légendaire disque The Specials (1979 au Royaume-Uni, 1980 aux États-Unis) étaient au programme. Disque que tout amateur de musique doit avoir dans sa collection. Je n’en demandais pas tant.

Le triplé d’ouverture a jeté la frénésie sur le parterre du Métropolis. Coup de canon d’entrée de jeu avec Do the Dog, rythmique accélérée mélodieuse au possible avec (Dawning of A) New Era et explosion de joie collective dès que l’on a reconnu les premières notes de Gangsters.

Il fallait voir la foule au parterre sautiller sur le rythme telle une fourmilière en folie. J’étais bien placé pour mesurer, car j’étais en plein milieu… Pas question de voir ce show-là de loin. Anyway, je suis toujours au parterre au Métropolis, mais cette fois, j’étais immergé dans cette foule de jeunes.

Oui, de jeunes. Jamais n’ai-je vu une foule si jeune (80 pour cent de personnes dans la vingtaine ou la trentaine) pour un groupe qui a plus de trois décennies de vécu. Tous les Québécois qui ont grandi en écoutant The Planet Smahers ou The Kingpins étaient là pour voir enfin l’ancêtre qui a généré des passions musicales.

Lynval l’a bien senti en remerciant « les parents qui ont fait écouter de la bonne musique à leurs enfants ». Les enfants, ils voulaient s’éclater sur les classiques et ils étaient tous au programme. La vibration intense durant Monkey Man est devenue jubilatoire quand on a battu la mesure de Concrete Jungle (foudroyante) et qu’on a couru ensemble la Rat Race. Allez! Un! Deux! Un! Deux! Kick! Kick! Kick!

Séance de cardio

Ce spectacle, c’était comme s’offrir une séance de cardio de 90 minutes avec très, très peu de pauses, sinon pour la splendide Little Rich Girl (dédiée à Amy Winehouse) et la géante A Message To You (Rudy), dédiée au roi du jour, l’Écossais Andy Murray, premier Britannique vainqueur à Wimbledon depuis 77 ans, plus tôt dans la journée.

« Il est Écossais, pas Anglais», a lancé Hall, qui faisait semblant d’être dépité, avec son humour british.

Le dernier droit a été à l’image de la performance de Murray : homérique. Nite Klub a fait trembler les colonnes du Métropolis comme ce n’est pas permis, tandis que Little Bitch était ponctuée de « F… you! » au lieu de « One! Two! ». Comme quoi, les versions studios et « live » peuvent différer.

Au parterre, ça dégoulinait de sueur et de bière. Rarement, le plancher du Métropolis a été aussi imbibé. On flottait presque, ici et là. Too Much Too Young et Enjoy Yourself ont bouclé la boucle avant que Ghost Town et You’re Wondering Now viennent calmer le jeu durant les rappels.

Je suis sorti de là tellement trempé sous mon chapeau et mon veston, que le déluge de flotte qui nous attendait à la sortie du Métropolis avait toutes les allures d’une petite ondée salvatrice.