Gregory Porter est un chanteur soul – dans le sens noble du terme – qui se produit néanmoins avec un quartette jazz taillé sur mesure pour des puristes. David Murray est l’un des saxophonistes les plus free qui soient, ce qui n’est pas exactement la tasse de thé de la chanteuse Macy Gray. Tout ce beau monde s’était pourtant donné rendez-vous lundi soir pour l’une des virées les plus singulières au FIJM.
Par Philippe Rezzonico
Dans un Club Soda bondé sur le coup de 19 heures, Gregory Porter avait l’air d’un Gulliver devant ses Lilliputiens. Le géant américain à la voix de baryton en impose de sa voix – grave comme celle de Lou Rawls – et de sa stature qui n’est pas sans nous rappeler Marvin Gaye, en plus massif.
Porter a aussi l’attitude de Gaye et il s’adresse à la foule comme un preacher en causant de positivisme, lui qui désire la « destruction de la négativité » (traduction libre). Pour vous dire, j’ai songé un instant à tourner les talons à ce moment, mais son doublé d’ouverture avec Painted On Canvas (profonde) et On My Way To Harlem (vivifiante au possible) m’avait intrigué au plus haut point.
Alors que la plupart des chanteurs que l’on associe au jazz vocal font corps avec leurs musiciens qui enveloppent les interprètes dans des enrobages feutrés et veloutés, il n’en est rien avec Porter. Le colosse au sourire communicatif a une voix grave et puissante, mais sans élasticité et pratiquement dépourvue d’apport mélodique.
C’est particulièrement évident quand il s’attaque à I Fall In Love Too Easily et que l’on se demande si la voix de Chet Baker n’était pas plus mélodieuse. Mais, paradoxe, c’est ce qui rend la prestation de Porter si intéressante.
Quand il interprète Liquid Spirit, le band de Porter se lance dans de frénétiques envolées et l’Américain chante, « scate » et bat la mesure comme s’il était un instrument en soi. Sentiment similaire avec Breaking Up Big Rocks, une composition originale visiblement inspirée du Chain Gang de Sam Cooke. Là, nous étions tout près du gospel.
Porter est tellement talentueux, qu’il peut rendre hommage à deux géants presque dans un même souffle. Sa livraison de God Bless the Child donnait des frissons. La dernière fois que l’on avait entendu quelqu’un chanter avec tant d’aplomb le classique de Billie Holiday au Club Soda, c’était en 2004… et la jeune femme se nommait Amy Winehouse. Puis, Porter s’est déchaîné avec Black Nile, de Wayne Shorter. Concluant.
Il a toutefois fait – vraiment – plaisir – à ses admiratrices en enchaînant Be Good et Hey Lola (ma-gni-fi-ques), avant de conclure son ultime rappel avec Real Good Man. « Real good », en effet.
David et la Diva
À quelle heure Macy Gray va-t-elle se pointer sur scène? La question, incontournable, était sur les lèvres de bien des spectateurs avant ce programme partagé entre le saxophoniste David Murray, géant de l’idiome jazz, et la chanteuse aux frasques bien connues. D’autant plus qu’à New York, « la première diva avatar du 21e siècle », dixit Murray, s’était fait longuement attendre.
Ce ne fut pas le cas dans le théâtre Jean-Duceppe, Macy Gray arrivant toute de suite après une excellente entrée en matière du quartette Infinity. Vêtue d’une robe en paillettes, boa et gants assortis, la chanteuse s’est lancée dans une version débridée de sa chanson Relating to a Psychopath.
D’emblée, il était évident que Murray était au service de Gray, ce dernier intégrant de courts solos entre les couplets interprétés, et ce, même si, parfois, l’interprète chantait alors que le saxophoniste y allait de flopées de notes.
Quand Gray a lancé « I’m a crazy bitch », les applaudissements qui ont fusé ont laissé entendre qu’un nombre considérable de spectateurs s’était déplacé uniquement pour elle. Et quand elle a ajouté « je bois depuis deux heures », on l’a cru sans peine, tant son timbre était éraillé.
Elle a bien tenu la route durant Be My Monster Love, composition enregistrée conjointement avec Murray, avant de retraiter vers les coulisses, laissant tout l’espace au saxophoniste qui était dans un bon soir, c’est-à-dire, excellent. Particulièrement durant French Kiss For Valerie.
Macy est revenue une demi-heure plus tard, cette fois dans une robe à paillettes de couleur vert olive, avec moins de voix que précédemment. Cela dit, cela l’a servi à merveille pour (In My) Sollitude. Avec sa voix rauque, fragile, presque brisée, elle a livré le standard de Billie Holiday à la perfection, uniquement soutenue par la contrebasse de Jaribu Sharid et quelques petites colorations de Murray. Frissons.
Globalement, les spectateurs ont en réalité assisté à une moitié de concert de Murray et à une autre moitié de prestation où Gray était accompagné du quartette du saxophoniste. Les univers des deux artistes sont difficilement compatibles et rarement ont-ils été fusionnels, quoique Murray et Gray ont pris un réel plaisir à partager la scène. Les sourires ne mentaient pas.
Comme le saxophoniste le disait, « on essaie toujours de faire quelque chose de différent chaque fois que l’on revient au festival ». Sur ce plan, rien à redire. Ce n’est pas demain que l’on reverra la foule présente à un spectacle de Murray hurler comme dans un spectacle rock ou hip hop.