Vous vous souvenez des Expos de Montréal? Ils jouaient au baseball. Parfois, deux matchs le même jour. On appelait ça un programme double. En musique, on fait la même chose. Deux artistes se produisent le même soir, mais le premier ne fait pas la « première partie » de l’autre. Les deux prestations sont d’une durée équivalente.
Par Philippe Rezzonico
Il y a plusieurs programmes doubles cette année au FIJM. Mercredi, les vieux routiers que sont le Dr. John et Leon Russell se partageaient l’affiche au théâtre Maisonneuve. Et c’est bien la seule chose qu’ils ont partagé…
Leon Russell, le vieux monsieur de 71 ans à la barbe blanche qui porte le chapeau de cowboy et le veston blanc, c’est l’auteur de quelques compositions magnifiques telles A Song For You, A Masquerade et Delta Lady enregistrées par Ray Charles, The Carpenters, Willie Nelson, George Benson, Joe Cocker et compagnie. Et il a joué avec rien de moins que le bottin du panthéon du Rock N’ Roll (The Beach Boys, George Harrison, Eric Clapton, Ringo Starr, Elton John, etc).
Sauf qu’il n’a plus beaucoup de voix. Encore moins que la dernière fois que je l’ai vu. Et il nappe…. Que dis-je… Il noie toutes ses chansons dans un océan de claviers insupportables.

Quand vous voyez un artiste de cet âge avec un ordinateur sur son clavier, méfiez-vous. Photo Frédérique Ménard-Aubin/Courtoisie FIJM
À l’entracte, avec des collègues, des producteurs et des gens de l’industrie présents au spectacle, on se demandait si nous n’avions jamais entendu quelque chose d’aussi pourri. Pierre Lachance, l’agent de Luc De Larochellière, a gagné le premier prix en notant que le synthétiseur Yamaha de Russell avait le son d’un défunt Casio. Il faut avoir un certain âge pour comprendre cette blague, mais croyez-moi, elle est tordante… Ici, Casio rime avec « cheap ».
Cela noté, qu’importe, donc, que Russell ait joué tout son catalogue à succès et les classiques des Stones, des Beatles, de Ray Charles (atroce Georgia On My Mind!) Chuck Berry et consorts. Au secours!
Le bon docteur
Il y a un docteur dans l’assistance? Oui, Dr. John, Louisianais de son état. Quand il s’est pointé sur les planches avec une canne, comme Russell, et que ça voix était à peine audible sur Iko Iko, j’ai eu une petite crainte. En fait, il n’y avait pas que la voix qui était inaudible. Le splendide piano grand format avec les têtes de mort placées dessus, on ne l’entendait guère, lui non plus.
Graduellement, le son a pris du mieux et le docteur a repris du tonus. Mais il faut avouer que Dr. John a pris un coup de vieux, à 72 ans. Je ne l’avais pas vu depuis un spectacle à La Nouvelle-Orléans au milieu des années 2000 et la comparaison était frappante.
Durant les Renegade, Locked Down et autres Revolution, il était aussi inerte que Russell devant son piano ou son clavier (lui aussi il a un clavier….). Le docteur tâtonnait et il n’a certes plus la vivacité de sa soixantaine. Paranthèse : je ne veux plus jamais entendre de blague sur Keith Richards (70 ans cette année) qui n’est rien de moins que dans une forme d’athlète olympique à côté des deux septuagénaires à chapeaux vus hier soir.
Heureusement, autour du docteur, ça jouait ferme, notamment sa tromboniste Sarah Morrow, qui jouait déjà avec Ray Charles du milieu des années 1990 jusqu’au départ de ce dernier.
Big Shot a enfin montré de quoi l’ensemble était capable quand tous les instrumentistes répondent présent et le doublé Witchy Red/Gris Gris a été exceptionnel, Morrow y allant d’un solo digne d’un festival de jazz. On retrouvait enfin l’ambiance et le son qui prévalent d’ordinaire à un spectacle du pianiste vaudou.
Bref, tout était en place pour les classiques : Right Place Wrong Time, Let the Good Time Roll (avec le docteur, debout à la guitare s’il vous plait) et St. James Infirmary. Et ça n’a pas dérougi jusqu’à la fin, même si, en définitive, il n’y a eu que les deux tiers du spectacle de Dr. John qui valaient le détour au sein de ce programme généreux de plus de trois heures.
En langage de baseball, on dirait qu’on a perdu le premier match avec Leon Russell en qualité de lanceur partant et que l’on a gagné le deuxième en relève grâce à Dr. John. Bref, que nous avons divisé les honneurs du programme double.