Bénabar arrive, me salue et s’installe dans un fauteuil de la salle Stevie Wonder, de l’Astral, où nous nous trouvons. J’ai beau avoir conversé au téléphone avec lui dans le passé, je me dis : « Oui, il existe. De façon concrète. Pour de vrai », comme on dit familièrement au Québec. Et après 15 ans de carrière, le Français offrira – enfin – un tout premier spectacle à Montréal vendredi, lors des FrancoFolies.
Par Philippe Rezzonico
Oui, 15 années passées depuis la parution de son premier disque sans nom qui a été baptisé ultérieurement, La P’tite monnaie. Cinq autres depuis, incluant Les bénéfices du doute, paru depuis l’hiver en Europe mais arrivé sur nos terres tout juste cette semaine. Entre les deux, des millions de disques vendus en France et des spectacles à guichets fermés dans toute l’Europe francophone.
Histoire de vous situer, Infréquentable, paru en 2008, a été écoulé à plus d’un demi million d’exemplaires depuis sa parution. Reprise des négociations (2005), le plus grand succès commercial de Bénabar, est chiffré à 1, 3 million de CD, rayon ventes. Et le petit nouveau est déjà au-dessus des 150, 000 galettes en six mois. Ajoutez à cela plus de 500, 000 rondelles pour Les Risques du métier (2003), une certification or pour Bénabar (2001) et vous comprenez que la crise du disque n’a jamais touché le Français.
Les spectacles ? Bénabar vient de boucler une tournée printanière en France. Essentiellement, des Zénith, soit des salles qui vont de 5,000 à 7,000 places, selon la ville. C’est simple. Bénabar serait Québécois, il s’offrirait une tournée du genre de celle de Star Académie. Vous avez saisi. Gros comme ça, en France, le Bruno Nicolini, de son vrai nom.
Une première
Vendredi, ce sera le Métropolis pour cette première à Montréal. Depuis ses débuts, Bénabar a offert un seul et unique spectacle en sol québécois, soit une performance au Festival d’été de Québec en 2005. Sur ce plan, il n’est pas différent d’autres grandes vedettes de France de la première décennie des années 2000 (Vincent Delerm et Raphael) qui ont pratiquement été absents chez nous, eux aussi.
Pourquoi cette discrétion? En bonne partie pour une raison que la raison ne connaît pas : la peur de l’avion. D’où la première question:
– Venu en avion, en bateau ou à la nage, Bruno ?
«Par avion. J’essaie d’évoluer. De me prendre en main », dit-il, bien conscient que sa phobie et son absence de nos rives font de lui un artiste moins connu des Québécois que – M – ou Thomas Fersen que l’on range dans la catégorie des assidus. Mais Bénabar a décidé de remédier à la situation.
«Il y a eu l’avion, l’emploi du temps… Je veux déjà revenir à l’automne pour faire une vraie tournée québécoise après avoir lancé une compilation qui contiendrai un duo avec une chanteuse québécoise. (ndlr : pas désignée encore). Je n’avais pas l’envie de revenir que pour un aller-retour et jouer seulement à Montréal ou à Québec. Je veux me donner les moyens et faire en sorte qu’il puisse se passer quelque chose avec le public québécois. Et là, c’est le public qui jugera.»
Le bénéfice du doute
Ceux qui voudront renouer ou découvrir Bénabar pourront se mettre sous la main Les bénéfices du doute, disque qui affiche les qualités poétiques et d’observateur du quotidien du monsieur qui n’a pas la langue dans sa poche.
Au premier chef, le premier extrait, Politiquement correct, où Bénabar aligne toutes ses prises de position (pas raciste, contre la guerre, contre la consommation des drogues par les jeunes, opposé à la misère, etc) et répète qu’il emmerde ceux qui le trouvent trop politiquement correct. Diantre ! Bénabar et Philippe Katerine (Je vous emmerde), même combat ?
«C’est une réaction (sourire). A la fois un clin d’œil et un coup de gueule. J’ai déjà eu une discussion avec quelqu’un qui me reprochait de ne pas être raciste. J’ai conclu l’échange en lui disant : «Je t’emmerde !» Je suis bien conscient que je défonce des portes ouvertes et que la plupart des gens – heureusement – sont d’accord avec moi… Que je dis des banalités aussi, mais bon, des banalités qu’il n’est pas si inutile de répéter. En fait, ce ne sont pas que des naïvetés. Les bons sentiments ne sont pas si mauvais.»
Autre exemple de ce que Bénabar fait de mieux, L’Agneau, chanson musicalement pop soleil qui ne fait pas la part belle aux troupeaux ni aux suiveurs, bref, à ceux qui vont toujours dans le sens du vent, histoire de bien paraître. On connaît ça, nous aussi. Suffit de voir les politiciens et une certaine frange du peuple réagir aux sondages…
«J’ai été frappé dernièrement que la mode s’applique de plus en plus aux idées. Ça m’a beaucoup troublé… En plus, nous, on sort d’une présidentielle. Depuis les deux derniers mandats, j’ai vu des gens d’extrême gauche aller au centre, parfois, en fonction du mec qui parlait, qui était plus ou moins charismatique, qui avait un discours plus ou moins habile.»
Il a beau avoir l’allure d’un type dans la mi-trentaine, Bénabar aura 43 ans le 16 juin prochain. Et certaines des compositions de son disque le reflètent. On pourrait penser que Alors, c’est ça ma vie ! est une suite à Quatre murs et un toit (de Reprise des négociations). Ce n’est pas le cas, même si ça aurait pu, précise-t-il. Pas plus que ses chansons sont obligatoirement autobiographiques.
«A 40 ans, on sait grosso modo qui on est, même si ça ne nous empêche pas de nous améliorer, dit le noble chanteur de variétés. C’est un constat que j’ai fait au début de la quarantaine. Mais ce n’est pas une chanson triste. On sait seulement à 40 ans que l’on ne sera pas un aventurier, un grand joueur de foot ou un poète russe.»
Sonorités amples
Les bénéfices du doute est un album qui repose sur une instrumentation de guitares sèches et de batterie minimaliste. Nous sommes loin du son des premiers disques de Bénabar. Le spectacle du Métropolis sera néanmoins une grosse production alors que le Français sera accompagné de neuf musiciens et choristes.
«On avait décidé d’emblée avec Jean-Louis Piérot (le réalisateur) en faisant le disque de pas mettre de cuivres, de ne pas mettre de cordes. Pas de peau sur les os. Mais sur scène, c’est autre chose pour moi. C’est libérateur.
«Je n’ai d’ailleurs jamais considéré la scène comme le service après vente. A la limite, ça pourrait être complètement différent. L’important, c’est que le public passe un bon moment. Là, on fait trois ou quatre nouvelles chansons, mais vous allez voir la même tournée que l’on vient de faire en France.»
On espère bien. Depuis le temps qu’on attend.
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Bénabar, au Métropolis le vendredi 8 juin. Première partie : Sophie Beaudet.
Bénabar, Les bénéfices du doute (Sony), disponible en importation.