Francos 2013 : une sainte porteuse d’espoir

Maude Guérin dans le rôle de Carmen. Photo Yves Renaud/Courtoisie TNM/FrancoFolies

Le théâtre et la musique ont des amis communs : les mots. Ceux qui permettent de raconter des histoires et d’exprimer des sentiments. Souvent, leur rencontre mène à ce qu’on désigne comme étant des Musicals. Mais quand l’œuvre de Michel Tremblay croise le chemin de René-Richard Cyr et de Daniel Bélanger, on passe à un autre niveau.

Par Philippe Rezzonico

Les mots de Tremblay qui sont la charpente sur laquelle repose Le chant de Sainte Carmen de la Main sont plus que ça. Des mots de théâtre, certes. Mais aussi de la littérature. La nôtre, québécoise de souche.

Des mots à savourer dans un livre ou sur une scène, mais qui demandent des efforts considérables d’adaptation quand vient le temps de les transformer en paroles de chansons.

Pourtant, comme ils l’ont fait précédemment avec Les belles-sœurs, œuvre charnière de Tremblay, Cyr et Bélanger arrivent à créer une adaptation musicale qui fusionne tous les genres sans aucunement dénaturer l’essence du propos.

La tâche n’était pourtant pas aisée. En raison du succès public et critique phénoménal obtenu par Les belles-sœurs, l’effet de surprise et de nouveauté n’y était plus. Et cela aurait pu être fortement préjudiciable à Sainte-Carmen.

Redécouverte

Ce n’est pas le cas, en définitive. Curieusement, en bonne partie parce que notre connaissance de cette pièce de Tremblay n’est pas la même que Les belles-sœurs. À moins d’être très jeune ou d’avoir complètement occulté l’œuvre de Tremblay, nous avons tous fait connaissance d’une façon ou d’une autre avec Les belles-sœurs, qui a été un jalon capital de la culture québécoise de la fin des années 1960.

Ce n’est certes pas le cas de Sainte-Carmen. Peut-être parce que le propos du réveil et de l’émancipation du peuple québécois qui est la trame de fond de cette pièce, a pris du plomb dans l’aile après la déconfiture du premier référendum, tout comme le rêve de Carmen qui se brise à la fin de l’histoire.

On n’assiste donc pas nécessairement à Sainte-Carmen avec les mêmes références qu’au moment où nous avons découvert l’adaptation musicale des Belles-sœurs. La pièce de théâtre dans sa mouture originale n’avait pas obtenu un succès comparable aux Belles-sœurs, lors de sa création en 1976.

On découvre avec d’autant plus de plaisir et aucun à-priori cette Carmen (Maude Guérin, impeccable) qui revient au bercail québécois après un séjour de six mois à Nashville, provoquant des réactions fort différentes auprès de Maurice (Normand D’amour, costaud), Bec-de-lièvre (Éveline Gélinas, fragile), Gloria (France Castel, rayonnante d’excès) et Tooth Pick (Benoît McGinnis, menaçant).

Texte actuel

Histoire de luttes de pouvoir, de rêves inassouvis et d’opportunités manquées, Sainte-Carmen ressemble furieusement au roman que le Québec vit encore en 2013. Comme quoi, le texte de Tremblay est demeuré brûlant d’actualité.

Bélanger a su l’intégrer à ses musiques pour que le message porte autant lors des envolées vocales en solo que lors des numéros collectifs. Celui qui ouvre la pièce, quand les laissés-pour-compte de la Main s’approchent graduellement des spectateurs des premières rangées est percutant.

Sainte-Carmen est globalement moins musicale que ne le fut Les belles-sœurs, mais la transposition de Bélanger du texte en chansons tombe nettement plus sous le sens, en raison de la personnalité de Carmen… une chanteuse.

Cyr nous offre une mise en scène fluide comme sur des roulettes (notamment celles des structures interchangeables) qui laisse toute la place aux émotions, qu’elles soient véhiculées par les chants ou par les textes dénudés de musique.

Bref, une autre réussite du tandem qui va permettre à une nouvelle génération de Québécois de découvrir une œuvre de Tremblay qui n’a jamais manqué de pertinence.

Le chant de Sainte-Carmen de la Main, adaptation musicale de la pièce de Michel Tremblay par René-Richard Cyr et Daniel Bélanger. Présenté au TNM durant les 25e FrancoFolies de Montréal, du 12 au 22 juin. En tournée au Québec dès janvier 2014.