Francos: Stromae, le bombardement de pur plaisir

Stromae: un bombardement sensoriel constat. Photo courtoisie FrancoFolies/Frédérique Ménard-Aubin

« Formidable » aurait été un bon titre pour chapeauter ce texte, surtout parce la livraison de ladite chanson l’a été, mais l’adjectif serait réducteur pour qualifier l’impensable bombardement de pur plaisir que fut le premier des deux spectacles de Stromae, mardi soir, au Centre Bell.

Par Philippe Rezzonico

Éblouissant, spectaculaire, brillant, ingénieux, sensible, jouissif, irrésistible : mettez les qualificatifs que vous voulez, ils résument tous l’ambiance, l’état d’esprit et la folie universelle que Stromae a su propager.

Il peut bien être né en Belgique, ce Paul Van Haver. Celui qui porte des culottes et des longs bas qui font penser à Quick et Flupke bâti son spectacle comme une bande dessinée où chaque introduction, chanson ou pièce instrumentale est un univers en soi.

Mise en scène d’animation inspirée du jeu vidéo Limbo en ouverture; rayures horizontales et verticales qui évoquent Au-delà du réel pour la dynamitée Ta fête; ombres chinoises à la Charlie Chaplin (Les temps modernes) pour Bâtard, faisceaux lumineux en alternance droite/gauche pour Peace or violence; et insecte géant qui « bouffe » graduellement l’écran durant Quand c’est ?, qui parle de cancer.

Stromae: un look tout à fait particulier. Photo courtoisie FrancoFolies/Fr.dérique Ménard-Aubin.

D’un bout à l’autre 115 minutes de spectacle, Stromae nous a happé dans son monde dont personne ne voulait sortir. Son éclectisme, ses textes de grand cru, sa musique festive et sa mise en scène digne des meilleurs crus des artistes américains et britanniques auront fait l’unanimité auprès de plusieurs générations.

Intergénérationnel

Même plaisir mesuré par les envois sociaux de mes amies dans la trentaine, le regard du couple quinquagénaire placé peu à ma gauche, les adolescentes qui n’ont cessé de hurler derrière moi et la petite fille de huit ans, tout juste devant mon siège, qui a dansé et tapé des mains toute la soirée. Totalement intergénérationnel, le Stromae.

Et le principal intéressé ne néglige rien pour capter l’attention. Il nous demande constamment si ça va, il sait être attachant et mystérieux et fringué avec goût. Mais il est aussi capable de jouer les rôles qui conviennent aux chansons quand il enlève ses chaussures et ses chaussettes durant Tous les mêmes, ou que l’un de ses musiciens vient le relever quand il mime le gars saoul de Formidable.

En y allant de ses « leçons » – un concept -, il nous explique, au plan musical, que de la musique sans « boom! boum ! », c’est comme « Venise sans gondoles, les moules sans les frites et Milou sans Tintin ».

Il a beau être un métis né d’un père rwandais, il est Belge, le mec. Qu’il était content de nous demander de cesser de nommer les frites « french fries », au profit de « Belgium fries » et d’ajouter, faussement fâché, « c’est pas le jour qu’on a gagné contre l’Algérie qu’on va me la faire à moi! » (NDLR : la Belgique a battu l’Algérie 2-1 au Mondial de soccer).

C’est quand même quand il se meut sur scène que Stromae retient le plus l’attention : il marche, il trottine, il sautille (Avé césaria), il gambade (Polo), il court (sur place, durant Je cours), il titube et il danse comme personne ne le fait, ayant parfois l’air d’un automate ou d’un pantin désarticulé. Magnifique adaptation hip-hop de L’amour est un oiseau rebelle, avec Carmen;  soit dit en passant.

Avec Stromae, on danse sans répit. Photo courtoisie FrancoFolies/Frédérique Ménard-Aubin.

Mais quand il fait la fête (la sienne ou la nôtre), c’est de l’ordre de la déferlante. Le clin d’œil à Michael Jackson avec des centaines de petits bonhommes sur écran avec lesquels Stromae danse en syncho lors de Humain à l’eau était un exutoire sensoriel. Et ça a duré près de dix minutes. C’est avec cette foule en transe que Stromae a enchaîné avec Alors on danse.

On danse? On s’éclate, oui. L’un des dix plus hal-lu-ci-nants parterres de danse jamais vus dans ma vie! Et j’en ai vus quelques-uns… Un moment d’éternité où tout le monde – vraiment tout le monde – oublie son boulot, ses tracas, son quotidien et n’est plus qu’une masse de chair et de musique. J’en ai encore des frissons au moment d’écrire ces lignes.

Fini? Que non. Après une sortie et un retour de l’animation, les musiciens ramènent Stromae sur scène, figé comme le mannequin du clip de Papaoutai. Les ados derrière moi ont failli percer mes tympans. Moment d’éternité prise 2, finalement, prolongé à l’infini par la présentation des musiciens. Bonne idée, ça nous permettait de continuer à danser sur ce tempo irrésistible.

Et même après Merci – très jolie instrumentale ponctuée de lasers tous azimuts, Stromae et ses collèges sont revenus faire a cappella, un bout de Tous les mêmes, comme s’ils étaient un groupe doo-wop des années 1950 qui chantait au coin d’une artère de New York.

Fabuleux, quand même, après ce raz-de-marée sonore et visuel, de voir que les chansons de Stromae tiennent debout toutes seules, dans leur plus simple expression.

Il y a deux jours, dans mon pré-papier pour Radio-Canada, je me demandais si ce n’était pas le meilleur show des Francos qui nous attendait. Non. Pas même le meilleur show francophone. Ce show, ce n’est rien de moins que le spectacle de l’année à Montréal, toutes langues et genres confondus. Et Stromae remet ça ce soir.