Ce qu’il y a de merveilleux durant un festival, c’est que l’on ne peut jamais complètement présumer de ce qui nous attend, et ce, peu importe la notoriété – ou l’absence de… – des artistes ou groupes présents.
Par Philippe Rezzonico
C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles on va toujours avec assiduité aux différents festivals de Montréal. On ne sait jamais quelle surprise – bonne ou mauvaise – nous attend.
Lita Ford : La deuxième journée de Festival Heavy Montréal s’amorce pour l’auteur de ces lignes avec la prestation de Lita Ford. Les jeunes festivaliers savent que l’Américaine née en Angleterre est l’une des rares figures de proue féminine de la scène hard et métal, mais les festivaliers de mon âge se souviennent d’elle comme l’une des Runaways, le premier band de Joan Jett dans les années 1970.
Et Ford assure encore sérieusement à 56 ans, dans son ensemble moulant rouge vif. Le jeu à la guitare est encore très adéquat, la voix est parfois mince, mais elle tient encore le flambeau avec ses Gotta Let Go et autres Kiss me Deadly. Sympathique de la voir reprendre Cherry Bomb, qu’elle chantait avec les Runaways à l’âge de 18 ans. La chanson est désormais connue de la jeune génération en raison de son inclusion dans la trame sonore du film Gardians of the Galaxy.
Glassjaw : Un ami d’un ami me recommande d’aller voix Glassjaw, sur la scène de l’Apocalypse. J’écoute toujours les amis de mes amis. Je ne vois que le dernier quart d’heure, pas assez pour critiquer la performance, mais suffisamment pour me poser cette question : « En quoi ce groupe se distingue de la masse? » Faudra les revoir un autre jour.
Masked Intruder : Imaginez quatre gars en cagoules de ski qui font de la musique. Voilà Masked Intruder, dont les membres Intruder Blue, Yellow, Red et Green ont l’air des Ninja Turtles du punk.
Avec un faux policier qui saute dans la foule et leur musique pop-punk ultra mélodique, c’est tout aussi comestible que festif. Sourire aux lèvres pour tout le monde. Quand une jeune festivalière me saute au cou pour danser avec moi, ça vous donne une idée de l’ambiance… Ça doit être mon séduisant chapeau.
Gojira : « Comment ça va Québec? » Si on ne sait pas que les membres de Gojira sont Français, ça ne parait pas du tout quand ils chantent. Enfin des Français dont l’accent n’est pas perceptible quand ils interprètent en anglais. Le groupe des frères Duplantier est un modèle pour les groupes de métal extrême.
Dextérité phénoménale, puissante brute, batteur mitraillette… Par moments, ces gars-là font passer Metallica pour un groupe de musique de chambre. Explosif à souhait et la meilleure performance du week-end jusqu’ici. Décoiffant.
Testament : Il faut bien bouffer à un moment. Oreille par trop distraite dans la zone médias, mais, n’empêche, Testament a frappé fort.
Billy Talent : Ce groupe canadien ne déborde pas d’originalité, mais il a le mérite d’être toujours à la hauteur de son talent. Rien de différent samedi avec les Surprise, Surprise, Devil On My Shoulder et Red Flag livrées à fond la caisse.
Et le groupe affiche ses positions politiques : « Je paie la bière à tout le monde qui ne vote pas pour Stephen Harper ! » a hurlé le chanteur Benjamin Kowalewicz. Quand on connait le profil démographique et social du festivalier moyen à Heavy Montréal, on pense que ça va lui coûter cher.
Iggy Pop : Ça ne pouvait pas être si bon qu’en 2008 à Osheaga, me disais-je. Finalement, c’était surtout différent. Il y a sept ans, c’était The Stooges, le groupe de légende d’Iggy avec ses deux potes maintenant décédés (les frères Scott et Ron Asheton) et Mike Watt à la basse. Cette fois, c’était majoritairement le catalogue d’Iggy Pop qui était à l’honneur.
L’iguane a néanmoins ouvert le feu avec un doublé percutant des Stooges : No Fun et I Want To Be Your Dog, toujours aussi menaçante plus de 45 ans après sa création. Tel un chien enfermé qu’on libère, Iggy a sauté – littéralement – sur scène avec une ferveur jamais démentie. Pour ceux qui ont fait des tweets en précisant qu’ils s’inquiétaient de sa santé, ne vous inquiétez pas. Oui, Iggy boîte, résultante de 45 ans à se tordre et à se contorsionner sur les planches. Sa colonne vertébrale a trinqué, elle aussi. Mais avec une telle voix (étonnante) et un tel sourire, tout baignait.
Livraisons homériques et impeccables de The Passenger et Lust For Life, décapante de Skull Ring et géante de 1969, un autre hymne des Stooges. Et quel plaisir de le voir interpréter Real Wild Child, de l’Australien Johnny O’Keefe, qu’avait popularisé Jerry Lee Lewis en Amérique dès 1958. The Killer et Iggy, deux « Wild One », pas de doute là-dessus.
Faith No More : Vingt-trois ans que Faith No More ne s’était pas pointé à Montréal, soit depuis l’émeute du Stade olympique lors du programme triple avec Metallica et Guns N’ Roses, précisément le 8 août 1992.
« On n’avait rien à voir là-dedans », a noté le chanteur Mike Patton, au claviériste Roddy Bottum, quand celui-ci a évoqué l’incident sans jamais le nommer. Ce qui était plus inquiétant, c’était de voir l’immense majorité des milliers de spectateurs présents demeurer impassibles à la question : « Vous nous connaissez ? »
À bien des égards, ce spectacle n’a pas été à la hauteur des retrouvailles anticipées et, encore une fois, ce n’est pas vraiment la faute de Faith No More. Quoique… C’était peut-être symbolique, cette ouverture sur la nouvelle – et plutôt placide – Motherfucker, mais un début de spectacle avec le classique The Real Thing – comme le groupe l’avait fait lors de ses quatre plus récentes sorties – s’avérait plus indiquée. Quand ça fait près d’un quart de siècle que tu n’es pas venu dans une ville…
Le joli décor immaculé de blanc – vêtements compris – et coloré uniquement de magnifiques gerbes de fleurs n’était peut-être pas une si bonne idée pour un groupe qui ruait dans les brancards au tournant des années 1980-1990. Le trip nouvel âge, vous savez… En revanche, ça créait un joli contraste avec la rugosité des chansons, hormis la reprise des Commodores (Easy). Marrant. J’aurai entendu Lionel Richie et Mike Patton chanter cette chanson-là…
Mais le décalage entre les chansons-phares (From Out of Nowhere, Epic, Middlelifre Crisis, etc.) et les nouveautés était par trop considérable. Par moments, je me demandais si cette foule – bien trop sage pour des standards de festivals – écoutait religieusement les nouveautés et les chansons plus obscures du catalogue du groupe, ou ne savait trop quoi en penser. Si je me fie aux réactions, la deuxième option est sérieusement à considérer.
Patton a encore et toujours une voix époustouflante, le groupe est soudé comme pas un, quoique moins déjanté qu’il y a trois décennies, mais le fossé du temps n’a pu être totalement effacé dans ce cas-ci. Une très solide performance de Faith No More, mais certes pas le spectacle fédérateur et rassembleur auquel je m’attendais.