Herbie Hancock aura droit à un coup de main de Thundercat pour son prochain disque à paraître sous peu. D’ici là, le public montréalais a pu voir les deux artistes s’exprimer sans retenue, lundi soir, au Festival international de jazz de Montréal, dans ce qui a été vraisemblablement le meilleur programme double jusqu’ici.
Par Philippe Rezzonico
En cette période caniculaire – un record de 1963 a été battu à Montréal lundi avec un mercure de plus de 35 Celsius -, des centaines de spectateurs présents à la salle Wilfrid-Pelletier étaient en tenue estivale.
Personne, pourtant, n’avait l’air d’être plus en vacances que Thundercat lui-même. Casquette blanche visée sur sa tête de cheveux rouges, t-shirt de marine à rayures, bermudas orange et longs bas roses… portés dans des gougounes. Sur la plage à Venice Beach, tu as l’air du gars le plus cool de la Californie. Sur la scène de la PdA, tu as l’air d’un extra-terrestre.
Extra-terrestre, est un qualificatif qui va bien pour décrire la dextérité de l’Américain qui a souri à belles dents durant une heure. Son jeu à la basse électrique n’est rien de moins de supersonique et se promène allégrement aux confluents du jazz fusion, du funk, de l’électro et du hip-hop, quand Thundercat chante.
Pour ce qui est de jouer le plus de notes à la minute, Stephen Bruner, de son vrai nom, mérite une place de choix parmi les ténors de la profession. Le claviériste Dennis Hamm colore à plein les offrandes de la tête d’affiche, mais c’est l’apport rythmique du batteur Justin Brown – un phénomène – qui permet à Thundercat de s’éclater au possible, ce qu’il n’a pas manqué de faire durant A Fan’s Mail, Lava Lamp et Them Changes, notamment.
Deux réserves. A force de bidouiller tes instruments avec des filtres – sans compter la qualité discutable de la sono au début -, tu noies ta propre offrande dans une bouillie sonore. Et quand les variations de tempo sont aussi minimes – presque tout est joué le pied au plancher -, on finit presque par se lasser. Mais comme la mitraillade sonore a duré une heure, c’était fort bien.
Herbie à son sommet
Après être arrivé sur scène en courant, ce qui n’est pas banal à 78 ans, Herbie Hancock nous a promis un voyage en précisant que nous étions mieux « de boucler notre ceinture. » La mise en garde n’était nullement superflue.
Dès les premières minutes, nous avons pu prendre la mesure de la proposition étoffée de Hancock et de la cohésion avec laquelle le pianiste, le guitariste Lionel Loueke, le bassiste James Genus (basse) et le batteur Trevor Lawrence jr. nous l’offraient. Quand de grands instrumentistes sont soudés à ce point, une prestation passe à un niveau supérieur.
A un moment donné, Hancock a précisé au micro qu’il allait nous offrir une composition qu’il avait écrite « dans le temps. Enfin… Il y a 44 ans. J’en avais 34, je crois. »
Personnellement, je crois que Herbie Hancock n’avait pas plus que 44 ans, hier. Trente-quatre, peut-être, tant la qualité de son jeu, son degré de virtuosité et son niveau d’énergie étaient proprement stupéfiants.
La composition en question était Actual Proof, tirée de l’album Thrust (1974), qui suivait les disques Head Hunters (1973) et Dedication (1974), probablement l’une des périodes les plus fastes de la longue et glorieuse carrière de Hancock.
Je n’avais jamais entendu le pianiste la jouer à cette époque – j’étais bien trop jeune -, mais la version d’hier état dynamisée par des variantes de lignes de guitare, une puissance accrue de la batterie, l’apport d’éléments électroniques et un souffle nouveau dans l’ensemble.
Sans surprise, pourrait-on ajouter, tant Hancock, comme nombre de grands musiciens, déteste faire du sur-place. On pourrait dire la même chose de Watermelon Man et de Cantaloup Island qui ont été enchaînées l’une à l’autre, pratiquement fusionnées en fait, au point qu’elles semblaient ne faire qu’une.
Lorsque Hancock s’est déchaîné au rappel avec son clavier-guitare lors de l’imparable Chameleon, tel un Keith Richards durant Satisfaction, tout le monde savait que nous venions de voir un artiste de légende au sommet de son art. Encore et toujours, à 78 ans! C’est ça, le passé au présent et le présent tourné vers le futur.
Et le public ne s’est pas trompé : ça hurlait « Herbie! Herbie! Herbie! » quand le grand artiste est ressorti de scène en courant comme il était arrivé.