La critique: le couteau à deux tranchants

La critique a-t-elle le droit de vilipender une production qui n'est pas à la hauteur des attentes? Sans aucun doute. Photo courtoisie Cirque du Soleil.

La critique, même quand elle est étoffée, constructive et qu’elle repose sur un argumentaire solide, demeure souvent une rebuffade peu acceptable pour ceux qui en sont la cible, comme on l’a vu la semaine dernière avec la présentation du spectacle hommage à Michael Jackson : The Immortal World Tour.

Par Philippe Rezzonico

Spectacle éparpillé à peaufiner. Production inégale. Sparages. Clowns de service. Chansons expédiées en pot-pourri. Ton prêchi-prêcha. Utilisation excessive de Nerverland, etc… On aura tout lu et entendu. Il faut noter que rien n’est parfait en notre bas monde. Tout le monde peut rater son coup. Même les meilleurs. Et le Cirque du Soleil fait partie des meilleurs.

Au lendemain de cette première, Jamie King, qui a concocté le spectacle, disait ne pas lire les critiques. Permettez-moi d’en douter. Une haute représentante du Cirque ajoutait que ce qui importait était la réaction du public. Il ne faut surtout pas que je lui présente ma comptable qui assistait à la première…

Le surlendemain, Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque du Soleil, ancien journaliste de surcroît, disait avec lucidité prendre acte des critiques décevantes dans les médias québécois, tout en ajoutant : « Ces gens-là nous ont été très favorables au cours des ans.»

Indiscutablement, d’excellentes critiques sont très favorables. Mais nous n’avons pas été favorables au Cirque par complaisance, mais bien parce que leurs productions le méritaient amplement. Sur ce plan, l’entreprise québécoise n’a pas volé les envolées dithyrambiques dont nombre de ses spectacles ont fait l’objet en trois décennies. Mais voilà. La critique, c’est un couteau à deux tranchants qui ne retombe pas toujours du même côté de la lame.

Deux poids, deux mesures

Dès que l’un ou l’autre d’entre nous encense un disque, un livre, un spectacle, une pièce de théâtre, une émission de télé ou un film, les relationnistes, compagnies de disques, diffuseurs, éditeurs et distributeurs se ruent sur nos textes et nos extraits pour en extirper un mot-clé ou une phrase-choc qui ira orner la publicité à venir du bien ou de la manifestation culturelle en question.

Remarquez, si nous lapidons la production, ils font la même chose, mais doivent le plus souvent prendre des bouts de phrases hors contexte pour arriver à un semblant de positivisme.

Paul McCartney aura offert deux spectacles au Centre Bell cet été.

Même à près de 300 $ le billet, tout le monde est ressorti comblé du show de Paul McCartney. Le spectacle était à la hauteur du prix demandé. Photo courtoisie evenko-Pat Beaudry

Si nous sommes – à notre corps défendant – si utiles pour bien des gens quand ça fait leur affaire, il faut également accepter d’entendre nos voix discordantes quand elles se font entendre. Balancier. Equilibre. Démocratie, même.

Entendons-nous, il y a plein de gens qui n’ont rien à foutre des critiques. Fort bien. Personne ne vous oblige à nous lire, pas plus que les artistes forcent le public à débourser de l’argent pour aller les voir.

Mais dans un monde où tous recherchent le rapport qualité-prix optimum, on nous lit et nous écoute selon l’intérêt soulevé par le sujet que l’on traite. Peut-être est-ce dû au fait que nous avons accès à des créations artistiques avant qu’elles soient disponibles auprès du grand public. Peut-être, aussi, est-ce seulement pour s’orienter dans le flot incalculable d’offres culturelles. Je ne sais trop. Mais on nous consulte encore.

Du métier

Notre parole, certes, n’est pas d’évangile. Nous sommes humains, imparfaits et perfectibles. Mais certains d’entre nous bouffent et dévorent de la culture depuis une, deux et même trois décennies sur le plan professionnel.

Nous sommes simplement des journalistes qui ont une grille d’analyse et un échantillonnage de données plus étendu que nombre d’amateurs de culture, qui, parce qu’ils ont une famille et des obligations, vont voir dix films, une demi-douzaine de shows et lisent trois livres par an. Nous, c’est notre boulot d’écouter 150 nouveaux disques, d’assister à autant de spectacles et de voir 100 films en douze mois.

Oui, disons-le et écrivons-le pour une fois : la plupart d’entre nous avons du métier et de l’expertise. Hou ! Les vilains mots que voilà en cette ère de critique-minute préfabriquée…C’est pourtant ça.

La critique culturelle est particulière en regard d’autres secteurs. En politique, les élus étant redevables au peuple, les critiques ont plutôt bonne presse. En affaires, une compagnie qui a perdu des millions ne prendra pas souvent la peine de répondre aux critiques formulées par la presse économique. Inutile. Le verdict est déjà rendu. Et en sport, tout le monde se prend pour Jacques Martin.

Le fragile équilibre

En culture, peu importe l’angle que nous prenons au plan narratif, peu importe la présentation graphique (papier, web) ou le montage (télé, radio), toute rencontre avec un créateur se veut une certaine forme de promotion pour son projet à venir. C’est triste, mais c’est ainsi.

Le balancier, l’équilibre, la notion de démocratie dont je parlais plus haut, c’est la critique. Il s’agit du dernier rempart. Du moment où l’on donne l’heure juste, sans faux-fuyants, le plus honnêtement possible, avec explications à l’appui. Que ça plaise ou non.

U2 en spectacle à l'hippodrome de Montréal

Aucune production n'aura été plus gigantesque que celle de U2 en 2011. Et le verdict a été unanime et positif. Photo courtoisie evenko

Et quoi que nos détracteurs en pensent, notre présence est encore nécessaire à défaut d’être absolument essentielle (nous ne traquons pas des criminels, quand même…). Nécessaire, dis-je, ne fût-ce que pour donner l’heure juste quand on veut vous convaincre que le nouveau disque des BB est un grand cru, que French Immersion est film à voir absolument, ou que Occupation Double est une émission de télé intelligente.

C’est de bonne guerre que le Cirque du Soleil ou n’importe quel autre créateur défende son œuvre. Ça ne date pas d’hier. C’est même humain, dans l’absolu. Mais je me dis qu’il faut relativiser le spin. Quand on voit que plus de 60 millions $ de billets pour The Immortal World Tour ont été écoulés, je me dis que notre tranchant de lame n’est pas si aiguisé que ça.