
Bruce Springsteen et le E Street Band à Boston, en 2009. Photo d'archives. Courtoisie Rocco Coviello.
Bruce Springsteen a officiellement confirmé ce que tous ses fans qui naviguent un tant soit peu sur le web savaient depuis une semaine : 2012 sera l’année de son retour sur scène à l’échelle mondiale. Retour, qui plus est, avec le E Street Band. C’est donc dit. Cette virée annoncée pour l’an prochain ne sera pas une tournée parmi tant d’autres. Ce sera le retour des jours meilleurs.
Par Philippe Rezzonico
Bruce a toujours été bon pour l’Amérique, même si cette dernière ne lui a pas toujours rendu la pareille. Pas pour rien qu’il est devenu le plus important symbole musical d’appui aux démocrates durant les années 2000. Mais il a surtout été bon pour ses fans, dont certains le suivent sur les routes du monde depuis les années 1970.
Il n’est pas le seul vétéran qui bénéficie d’un tel soutien. Dans le milieu du rock, les Rolling Stones, U2 et AC/DC, pour ne nommer que ceux-là, ont eux aussi leurs légions de fans qui respectent l’équation : trains, planes and automobiles. Aucune ville, aucun pays et même aucun continent n’est trop éloigné pour ces amateurs.
A mes yeux, Springsteen possède un niveau d’attirance un cran au-dessus des autres légendes mentionnées. Quand je vais voir les Stones, c’est pour m’éclater à entendre la douzaine de chansons de pur Rock n’ Roll la mieux foutue de l’histoire ; AC/DC, pour hurler des refrains fédérateurs le poing en l’air ; U2, pour observer un groupe qui sait maîtriser gigantisme et discours politisé. Mais voir Springsteen, c’est plus que ça. Voir Bruce, c’est vivre.
L’essence
Cela tient peut-être tout bêtement au contenu de ses chansons. It’s Only Rock n’ Roll, c’est un hymne. Hells Bells, c’est un pacte avec le diable. Sunday Bloody Sunday, c’est le drame mêlé à l’histoire. Mais Born To Run, c’est l’essence même de ma vie. Encore plus vrai pour Thunder Road, qui semble avoir été écrite pour moi avant même que je sois en âge de vivre une partie de ce que Bruce y raconte. Et Badlands... Et Racing In the Streets… Je pourrais poursuivre ainsi pour des tas de chansons.
Tout le monde a un artiste favori, un groupe préféré, une chanson qui a marqué notre vie. Mais trop souvent, après l’adolescence et les premières années d’adulte, ce lien demeure ténu, de l’ordre du souvenir, boulot et famille entrant en jeu. Et parfois, au fil des années, l’artiste et le groupe en question ne sont plus que de pâles copies du passé. Il ne reste que la musique que l’on écoute chez soi.
Le E Street Band, près de 40 ans après sa naissance, a encore cette puissance évocatrice sur scène. Ferveur, passion, intégrité, amour, bonheur, puissance, camaraderie, désir et famille élargie se côtoient dans les spectacles du E Street, tant sur scène qu’au parterre. C’est donnant-donnant entre Bruce, ses boys et les millions de fans.

Springsteen et Steve Van Zandt, alors que Jay Wienberg remplaçait son père Max à la batterie. Le E Street Band générationnel. Photo d'archives. Courtoisie Rocco Coviello.
Les amateurs du temps de Born To Run, Born In the U.S.A. et The Rising se confondent comme s’ils étaient de la même génération. Et puis, c’est quand même formidable d’entendre un groupe dont le Rock n’ Roll musicalement redoutable est farci de textes dont la portée humaine, sociale, politique et poétique rivalisent avec ceux de Dylan.
Le nouveau visage
On ne sait pas de quoi les nouvelles chansons annoncées par Springsteen seront faites. Et nous savons tous qu’il ne sera pas pareil, ce E Street Band sans Clarence Clemons, décédé cet été. Le saxophoniste format géant n’est pas de ceux que l’on remplace. On lui succède. Qui peut le faire ? Un musicien en particulier ? Un collectif de cuivres ? On l’ignore encore.
Mais je vous parie un truc. Clarence sera honoré dans cette tournée. Et je me risque à avancer que c’est son solo légendaire de Born To Run que l’on entendra durant la livraison de ce classique en spectacle. Enregistré, évidemment. Et probablement avec des images de lui sur écran géant.
Je me goure peut-être, mais ont tous ont droit d’espérer des jours meilleurs, qu’ils vivent à Madrid, au Caire, à New York ou à Rimouski. L’Amérique et le monde vont mal. Des millions d’emplois sont perdus dans les pays occidentaux, les pays arabes ont vécu des révolutions à répétition, l’Europe est au bord de la faillite, le congrès américain s’entredéchire et les infrastructures du Québec s’effondrent.
Springsteen et ses copains ne vont pas régler ça. Que non ! Ce n’est pas leur boulot. Quoique ce n’est pas un hasard s’ils reprennent la route lors de l’année de la prochaine présidentielle américaine.
Mais durant plus d’un an, des millions de spectateurs iront les voir dans leur cour, près de chez eux ou à l’autre bout du monde pour avoir du plaisir, renouer et se rappeler qu’il y a des artistes qui croient un peu plus que d’autres que le monde peut s’améliorer.
Glory Days ? Peut-être pas. On ne refait pas le passé. Better Days ? Sûrement. Même si ça ne dure que le temps d’un show de trois heures.
Waiting On a Sunny Day, comme on dit.