Le Rock n’ Roll est mort

Rock n’ Roll is Here to Stay, chantaient Danny and the Juniors dans les années 1950.  « Rock n’ Roll will never die », assurait Neil Young dans Hey Hey, My My (Into the Black), il y a 35 ans. Ils se sont trompés. Le Rock n’ Roll est mort. Du moins, selon les membres de National Academy of Recording Arts and Sciences qui décernent les trophées Grammy.

Par Philippe Rezzonico

Jay Z, avec neuf nominations, Kendrick Lamar, Macklemore & Ryan Lewis, Justin Timberlake et Pharrell Williams, cités sept fois, ainsi que le Toronrois Drake, avec cinq, dominent la liste des lauréats potentiels en vue de la 56e présentation de remise des Grammy Awards, prévue le 26 janvier prochain.

La demi-douzaine de duos ou d’artistes ayant le plus grand nombre de nominations sont tous issus des milieux hip-hop, rap ou des boys bands. Pas de rockeurs à l’horizon.

Cette tendance se mesure aussi dans les catégories phares généralistes.

Kendrick Lamar (Good Kid, M.A.A.D City) ainsi que Macklemore & Ryan Lewis (The Heist) vont se mesurer à la chanteuse/pianiste Sara Bareilles (The Blessed Unrest ), les Français maîtres de l’électro de Daft Punk (Random Access Memories ) et la country girl Taylor Swift dans la catégorie album par excellence.

Le gramophone remis pour l’enregistrement par excellence couronnera Get Lucky (Daft Punk & Pharrell Williams), Radioactive (Imagine Dragons), Royals (Lorde), Locked Out of Heaven (Bruno Mars) ou Blurred Lines (Robin Thicke, avec T.I. et Pharrell Williams).

La chanson par excellence aura pour nom Just Give Me A Reason (Pink, avec Nate Ruess), Locked Out Of Heaven (Bruno Mars), Roar (Katy Perry), Royals (Lorde) ou Same Love (Macklemore & Ryan Lewis, avec Mary Lambert).

Quant à la révélation de l’année, le Grammy ira à James Blake, Kendrick Lamar, Macklemore & Ryan Lewis, Kacey Musgraves ou à Ed Sheeran.

Hormis Imagine Dragons qui est inscrit dans les catégories rock (discutable), d’estimer que Pink est une rockeuse (quoique, elle a vraiment du mordant en spectacle) ou qu’Ed Sheeran soit plus rock que folk, c’est plutôt mince, rayon guitares rugueuses.

Ce n’est pas parce qu’on a boudé les rockers de toute nature : Black Sabbath, Kings of Leon, David Bowie, Queens of the Stone Age, Alabama Shakes, les Rolling Stones, Paul McCartney, Vampire Weekend, Neil Young, Neko Case, Nine Inch Nails, The National et meme… Led Zeppelin (à cause de la parution du disque Celebration qui soulignait leurs retrouvailles en 2007) sont tous en nomination dans les catégories rock, métal et alternatif.

Saut que, visiblement, aucun d’entre eux ne surpassait en qualité le travail des rappeurs, des artistes pop et ceux d’allégeance électronique. Il faut comprendre que tous les artistes d’allégeance pop, hip hop ou électro qui ont remporté des Grammy depuis le nouveau siècle deviennent eux-mêmes membres de l’Académie avec droit de vote. Et chaque nouvelle génération pousse la précédente.

De plus, ça fait une mèche que le rock et ses variantes naturelles n’ont plus la cote sur les radios américaines et MTV. Tout le rock est désormais un produit de niche : radios spécialisées généralistes comme CHOM à Montréal ou radio satellite.

Les genres musicaux nés après le rock ont désormais la faveur de l’industrie et, surtout, des jeunes publics. Et il y a du fichu de bon matériel là-dedans. Je pense à Daft Punk, Lorde, Bruno Mars, Drake et le touche-à-tout de Justin (Timberlake, pas Beiber). Le rock paie un peu beaucoup pour une certaine forme d’immobilisme dans la forme, il est vrai.

C’est peut-être une bonne chose, en définitive, que le rock soit désormais perçu par une partie de l’industrie comme moins « populaire ». Rien de tel que de revenir dans la marge afin de reprendre du tonus.

Le rock, à l’origine, était une affaire de rebelles et d’émancipation en 1955. Et il y a eu à intervalles réguliers de grands éclats de rébellion (le punk, le grunge) pour le ressourcer. Il va y en avoir un autre avant la fin de cette décennie, n’en doutez pas.

De toutes façons, c’est le genre qui risque de perdurer le plus longtemps sur les planches à en juger par la qualité constante de groupes comme QOTSA, de Jack White, des Arctics Monkeys (qui s’offrent désormais rien de moins que le Madison Square Garden), des Kings of Leon et autres nouveaux venus tels Jake Bugg.

Mort, le Rock n’ Roll? Uniquement dans l’esprit de la NARAS.