Le Top 50 de Frank (14): les mélodies du bonheur

Dans l’excellent Manhattan, Woody Allen enregistrait une liste des choses pour lesquelles la vie valait la peine d’être vécue, citant notamment le solo de Louis Armstrong dans Potato Head Blue. Pas mal vu. Moi, j’y placerais My Favorite Things, de John Coltrane.

Par François Vézina

Cet album enregistré en 1960 est une étape décisive dans la carrière du grand saxophoniste.

Il a adopté le soprano, ce qui lui permet d’ajouter de nouvelles teintes à une déjà assez large palette.

Suivant la route ouverte par son ancien patron, Miles Davis, il se tourne vers la musique modale, un système harmonique qui lui donne une plus grande liberté d’improvisation.

Encore mieux, il a déniché deux musiciens qui seront les piliers de son quatuor pour les cinq années à venir: McCoy Tyner et Elvin Jones. Tous deux complètent à merveille le jeu de Coltrane et démontrent qu’ils ne seront pas de simples faire valoir.

Contrairement à ses opus précédents, « Trane » n’enregistre aucune pièce originale mais son langage est si original qu’il métamorphose ces morceaux, se les appropriant totalement.

Une chanson réinventée

Mine de rien, Coltrane réinvente complètement au soprano une chanson de la comédie musicale The Sound of Music. Il la récrée tellement que cette My Favorite Things deviendra sienne. Le saxophoniste et ses complices transforment cette valse anodine en un hymne incantatoire, fascinant et délirant.

Coltrane n’est pas qu’un brillant technicien. Quel feu d’artifice lorsqu’il revient au thème après s’être échappé au gré de sa fantaisie! Plus de 13 minutes de bonheur absolu.

Il passe aussi au broyeur deux compositions des frangins Gershwin: Summertime et But Not For Me. Il exulte de vigueur, se lançant sur un tempo infernal, de véritables nappes de notes évocatrices, tournant, tel un aigle près de sa proie, autour du thème.

Malgré ce déluge de notes, le discours virtuose de Coltrane demeure généreux, fécond et cohérent, jamais vain.

Le saxophoniste n’est pas toujours un défricheur de terres inexplorées. Il sait aussi caresser amoureusement une mélodie comme il le démontre avec assurance sur Everytime We Say Goodbye.

« Je dois continuer à me livrer à des expériences. Je sens que je ne fais que commencer », commentait Coltrane dans le livret accompagnant l’album.

Il avait cent mille fois raison, l’ancien disciple de Thelonious Monk et de Miles Davis. Sa patiente et passionnante exploration des sons fera de lui une des plus grandes influences du jazz et de la musique.

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Le top-50 de Frank (14): John Coltrane, My Favorite Things

Étiquette: Atlantic

Enregistrement: octobre 1960

Durée: 40:39 (4 plages)

Musiciens: John Coltrane (saxophone soprano, saxophone ténor), McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie), Steve Davis (contrebasse)