Don Pullen est un puissant druide. Lui et son formidable African Brazilian Connexion (ABC) conjuraient les courants telluriques de l’Afrique et des Amériques pour créer une musique originale, festive et ravigotante.
Par François Vézina
Le 13 juillet 1993, les festivaliers de Montreux, les chanceux, ont pu goûter à cette potion magique et se rendre compte de ses effets jouissifs.
Les ingrédients: cinq pièces puisées du répertoire du groupe. Ces chansons sont allongées et transformées en autant de fêtes incandescentes.
Pourtant, tout commence paisiblement. Carlos Ward et Pullen jouent un thème mélancolique et crépusculaire. L’instant de recueillement sera bref.
Car soudain, la nuit tombe. C’est carnaval!
Dynamisée par une impitoyable section rythmique que domine le percussionniste sénégalais Mor Thiam, l’envoûtante Yebino Spring – symbiose entre le Brésil et l’Afrique – est une chaleureuse invitation au déhanchement.
Les autres morceaux sont autant de feux d’artifices. Le titre de la dernière pièce ne peut pas être plus explicite: Aseeko! (Get Up and Dance).
Difficile de résister à l’invitation.
L’hommage à Adams
C’est au cœur de ces agapes que Pullen choisit de saluer la mémoire de son ami et ancien partenaire de studio et de scène, l’excellent saxophoniste George Adams, décédé neuf mois auparavant.
Ah, George, We Hardly Knew You
La seule pièce du disque composée par le pianiste – est introduite par Pullen. Seul devant son clavier, il évoque le grand lyrisme du disparu, comme si le pianiste avait préféré saluer la vie de l’ami décédé et non pleurer sa mort.
Un moment fort et émouvant.
Après ce prélude, Ward joue brièvement le thème, se lance à l’aventure avec son patron tandis que la section rythmique se montre, pour une rare fois, discrète.
Lorsque la dernière note s’envole pour laisser place aux applaudissements des spectateurs ébahis, 18 minutes se sont écoulées, à notre grand étonnement.
Tout au long du concert, le trop méconnu Carlos Ward n’est jamais à court d’inspiration. Il se montre allumé et enjoué, sans céder à l’envie d’imiter Adams.
L’aisance par laquelle ses collègues remplissent les espaces dynamise les solos du saxophoniste.
Pullen est en grande forme, lui aussi. Son jeu physique aux accents parfois free, convient à la densité des arrangements. Les détours et aller-retour du pianiste lui donnent de l’élan.
Pullen et l’ABC nous ont conviés à une splendide fête. Malgré les rythmes brésiliens, la festa ne se déroule pas à Rio ou dans un quelconque carnaval de paillettes pour touristes désirant s’encanailler.
Ce bal aux racines populaires profondes a semé l’allégresse à Montreux. Voilà où repose le véritable exploit de Pullen et de ses assistants: au cœur de l’Europe, ils sont parvenus à coller diverses rives de l’Atlantique pour faire danser le monde.
Des vrais sorciers.
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Le Top-50 de Frank (27): Don Pullen, Live… Again: Live at Montreux
Étiquette: Blue Note
Enregistrement: 13 juillet 1993
Durée: 73:14 (5 plages)
Musiciens: Don Pullen (piano), Carlos Ward (saxophone alto), Nilson Matta (contrebasse), J.T. Lewis (batterie), Mor Thiam (percussions, voix)