Ha! Amis jazzophiles, vous êtes vernis. Car aujourd’hui, vous avez droit à un cours de sociologie musicale, gracieuseté de Carla Bley. Prenez gare: la leçon sera surprenante et décapante.
Par François Vézina
Aucun style musical, même le plus suranné, le plus démodé ou le plus à l’intérieur des sentiers battus, ne peut résister à la douce folie et à la belle démesure de cette compositrice hors-normes.
Du coup, ces formats, elle les dépoussière, les transforme, leur donne un nouveau souffle.
Nous ne sommes plus dans un bordel de Buenos Aires, un palais décadent de Vienne, un temple de Stockholm ou même un club mal famé de la 52e rue.
Nous sommes ailleurs.
Nous sommes sous le charme.
Nous sommes sous le charme d’un tango qui, perverti par une fanfare issue d’une quelconque révolution libidineuse, laisse dégager une torride sensualité et même une charge érotique certaine (Reactionnary Tango).
Nous sommes sous le charme d’une marche funèbre où le jeu en contrepoint d’un tuba donne une nouvelle vérité aux discours d’une trompette ou d’un saxophone (Copyright Royalties).
Nous sommes sous le charme d’un hymne qui gagne en intensité de mesure en mesure pour se sortir de sa mélancolie (Utviklingssang).
Nous sommes sous le charme d’une valse soi-disant sinistre qui se transforme presque en un joyeux air de cirque (Valse sinistre).
Nous sommes sous le charme des pétarades annoncées d’avance qui parviennent à quand même nous surprendre en éclatant sous diverses formes (Floater)
Nous sommes sous le charme d’un bop décadent bercé par les claviers, prélude à une grande fête libératoire (Walking Batteriewoman).
Encore du charme
Nous sommes sous le charme d’une maître es arrangements dont la vaste palette sonore apporte de la nuance et de l’éclat aux arrangements.
Nous sommes sous le charme d’une chef d’orchestre dont le sens de la dérision ouvre des chemins de grande liberté à ses musiciens.
Nous sommes sous le charme des solistes qui rivalisent d’intelligence, de précision et de justesse émotive.
Nous sommes sous le charme d’un Carlos Ward épatant, d’un Michael Mantler éblouissant ou d’un Steve Swallow électrisant.
Nous sommes sous le charme des différents rivages abordés, de ce choc de diverses cultures qui donne naissance à une superbe oeuvre d’une grande sensualité.
Finalement, la sociologie était un trompe-œil: nous avons plutôt assisté à un cours de sorcellerie.
Nous sommes sous le charme.
——————————
Le top-50 de Frank (29): Carla Bley, Social Studies
Étiquette: Watt
Enregistrement: Décembre 1980
Durée: 41:32
Musiciens: Carla Bley (orgue, piano), Michael Mantler (trompette), Carlos Ward (saxophones alto, ténor), Tony Dagradi (saxophone ténor, clarinette), Gary Valente (trombone), Joe Daley (euphonium), Earl McIntyre (tuba), Steve Swallow (basse), D. Sharpe (batterie).