Le Top 50 de Frank (30) : Et Redman devint Joshua

Peu de musiciens de jazz ont dû se démarquer de l’ombre de leur père pour se faire une place au soleil. Joshua, le fils du saxophoniste Dewey Redman, est parvenu à se faire un prénom grâce à quelques excellents enregistrements dont ce formidable Moodswing.

Par François Vézina

Mais comment se débarrasser de l’ombre bienveillante du père lorsqu’on vient de jouer sur son album précédent – au demeurant excellent – avec quelques-uns de ses plus brillants compagnons de route comme Charlie Haden et Billy Higgins ?

En formant un quatuor avec des gens de sa génération, des quasi inconnus qui ne le resteront pas longtemps, pardi! En choisissant un répertoire puisé uniquement parmi ses propres compositions.

Pari audacieux, mais pari tenu.

Pari tenu, car si Joshua n’est pas le musicien ou le compositeur le plus innovateur, il possède un don prodigieux: la communication.

Ses lignes mélodiques, ses solos biens enracinés vont droit à l’essentiel. Il sait raconter ses joies (Chill), sa mélancolie (Sweet Sorrow) ou sa nostalgie (Past in the Present) de façon simple et directe. Il ne cache pas ses influences, sachant s’en servir comme tremplin à l’exemple des « coltraniennes » The Oneness of Two et Obsession ou de la funky, Headin’ Home.

Anecdote: nous sommes au milieu des années 1990. Le Frank à moi arrive à l’appart pendant que ce disque tourne dans mon lecteur et il me demande: « qu’est-ce ce Coltrane que je ne connais pas ?»

C’est Redman, Joshua Redman.

Un quatuor hors-pair

L’autre grande qualité du saxophoniste: savoir s’entourer. D’une part, un excellent duo contrebasse-batterie (Christian McBride et Brian Blade) pour bien établir les climats et alimenter les solistes d’une puissante pulsion.

Et d’autre part, un Brad Mehldau, tout jeune, même timide parfois, mais qui se montre brillant accompagnateur, sachant s’investir dans les espaces disponibles et contribuant à faire naître une ambiance, à l’aide de trois notes répétées.

Juste récompense: Christian McBride lui rend la pareille pendant un de ses solos (Rejoice).

Mehldau a des éclairs d’inspiration. Une main droite vertigineuse et une main gauche solide en appui: ce n’est pas faire de la prévision à rebours que d’écrire qu’un bel avenir se dessinait devant lui.

Le saxophoniste, lui non plus, n’a pas à rougir de son présent ni de son avenir.

Il faut le reconnaître: Joshua Redman est doué. Le gars aurait pu faire ses études de droit à Yale; il préféra s’accorder une sabbatique, s’installer dans la grosse Pomme, jouer avec papa, et, pour notre plus grand bonheur, remporter un prix musical prestigieux, le Thelonious Monk Saxophone Competition.

Changement de carrière, vous avez dit ?

Et, au lieu de divertir quelques juges, jurés et clients, il continue de charmer nos oreilles, disque après disque après disque. Finalement, Dewey Redman est devenu, de façon posthume, le père de Joshua.

http://www.youtube.com/watch?v=qz7i1cSONLs

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Le Top-50 de Frank: Joshua Redman; Moodswing

Étiquette: Warner Bros

Enregistrement: Mars 1994

Durée: 70:01

Musiciens: Joshua Redman (saxophone), Brad Mehldau (piano), Christian McBride (contrebasse), Brian Blade (batterie)