Le Top 50 de Frank (47): un pont tout près, un saxo tout prêt

Frais émoulu de l’Université du Pont de Williamsburg où il s’est imposé un stage de perfectionnement, Sonny Rollins revient devant les feux de la rampe après une retraite de deux ans.

Par François Vézina

Le déjà légendaire saxo-ténor place son retour sous le signe du classicisme, s’exprimant vigoureusement avec un son robuste, et un discours fluide. Le volcan ne s’est pas éteint, loin de là.

Fougueux et aventureux dans les pièces up-tempo, il se montre tendre et émouvant quand le rythme ralentit, sachant caresser la mélodie, trouvant des façons inédites pour raconter des histoires qu’on croit trop bien connaître, ou improvisant intarissablement à partir de pas grand-chose.

Les révolutions coltrannienne et colemanienne frappent de plein fouet la scène jazzistique? Rollins s’en affranchit, mais y porte une subtile attention.

Il affiche une belle sérénité, s’interrogeant, de quelques notes répétées, sur l’état du jazz en 1962 (John S.), effaçant ses hésitations d’un immense éclat de rire, semblant dire: « moi aussi, je peux le faire », mais préférant garder son quant-à-soi (The Bridge).

L’hommage à Billie

Rollins rend un superbe hommage à la grande Billie Holiday, décédée trois ans plus tôt, en interprétant une émouvante version de God Bless the Child, au cours de laquelle, il parvient, même en conservant sa puissante sonorité, à évoquer la fragilité de la chanteuse. Chapeau l’artiste!

L’absence d’un pianiste ne se fait pas ressentir (Rollins n’aime pas trop cet instrument, qu’il jugeait encore « trop directif », il y a pas si longtemps)* car il a trouvé le bon musicien pour dialoguer avec lui: le guitariste Jim Hall, avec qui il partage le goût du discours musical harmonieux, amoureux de la ligne mélodique.

La section rythmique, au sein de laquelle brille Bob Cranshaw, alors à ses premières armes avec le saxo-ténor, tient solidement les rênes, soutenant efficacement le jeu des deux solistes.

Rollins a sans doute été rassuré par la fécondité de sa créativité et la fiabilité de sa technique. Il semble en paix avec lui-même.

Toutefois, l’homme, toujours en quête sa perfection, sait que le chemin n’est jamais tout tracé devant lui. Le free l’interpelle.

Il s’y mesurera l’année suivante en engageant deux compagnons de route d’Ornette Coleman : Don Cherry et Billy Higgins, dans une nouvelle aventure d’un quatuor sans piano. Mais, ça, c’est une toute autre histoire.

*Quénem Thierry, Les chemins de la liberté, in Jazz Magazine, no 641, sept. 2012, p.48

No 47: Sonny Rollins, The Bridge (Bluebird/RCA)

Enregistrement: janvier-février 1962

Durée: 40:44 (6 plages)

Musiciens: Sonny Rollins (saxophone ténor), Jim Hall (guitare), Bob Cranshaw (contrebasse), Howard Riley (batterie) et Harry T. Sauders (batterie).