Fin des années 1950. Le Sud des États-Unis bout. Les Noirs en ont marre des politiques ségrégationnistes. Le batteur Max Roach partage cette colère et l’exprime haut et fort. Rarement un enregistrement n’aura aussi bien reflété les luttes sociales contemporaines.
Par François Vézina
Aidé du parolier Oscar Brown, de la chanteuse Abbey Lincoln et d’excellents musiciens, Max Roach retrace en cinq étapes la longue lutte des Noirs américains. L’homme ne fait pas dans la dentelle. Pas question pour lui de raconter une histoire édulcorée.
L’histoire des Noirs est un long chemin trempé de larmes et de sang. Driva’s Man évoque avec brio la dure oppression des esclavagistes tandis que Freedom Day, où brille un très bon Booker Little, rappelle les vains espoirs nés de la Proclamation de l’Émancipation. Et dans le contexte de ces années-là, la chanson se transforme en ardente accusation contre l’immobilisme des autorités blanches.
La magnifique tryptique Prayer/Protest/Peace est sans doute le moment fort de l’album. Un intense duo voix-batterie au cours de laquelle on passe de l’espoir d’une intervention divine à un cri de révolte avant de conclure sur un chant apaisé. La lutte contre l’oppression conduit à la dignité.
All Africa est un hymne dédié aux racines africaines du peuple noir. Roach proclame sa fierté d’être noir. L’influence de l’Afrique et des Antilles se reflète par le jeu des percussionnistes déchaînés.
La dignité
Tears for Johannesburg rappelle en conclusion que rien n’était encore joué à cette époque. Le peuple devra demeurer vigilant. Les solos de Booker Little, de Walter Benson et de Julian Priester ramènent successivement l’émotion ternaire de la suite: l’impuissance, la colère, la dignité.
Max Roach, compositeur et arrangeur heureux, anime le tout d’éclatantes cymbales et de caisses querelleuses.
À ses côtés, Abbey Lincoln brille d’un feu vif du début à la fin. Sa voix légèrement âpre, posée en défi, convient parfaitement aux diverses tonalités de l’œuvre.
Et comme la lutte raciale transcende les générations, Coleman Hawkins – alors âgé de 55 ans – participe à l’aventure. Son solo mélodieux mais dur, véritable pendant instrumental du chant de Lincoln, évoque à merveille le désespoir des esclaves (Driva’ Man).
Il a fallu une dose de courage à la firme indépendante Candid et au producteur Nat Hentoff pour publier cet album. L’année précédente, Columbia avait censuré les Fables of Fabus de Charlie Mingus. Le contrebassiste enregistra d’ailleurs la version originale de cette chanson… pour Candid.
La Freedom Now Suite est une véritable ode à la liberté, aussi brillante, aussi émouvante que Liberté, ce puissant poème que composa Paul Éluard pendant l’Occupation:
(…)
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
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Le Top 50 de Frank (no 36): Max Roach, We Insist! Freedom Now Suite
Étiquette: Candid
Enregistrement: 31 août et 6 septembre 1960
Durée: 37:23 (5 plages)