
Ella Fitzgerald, Duke Ellington, Benny Goodman et Richard Rogers, en 1948. La célèbre photo d'Herman Leonard. Verrons-nous un album d'Ella dans le Top 10 de Frank?
Vous vous souvenez? Ça s’est amorcé comme un défi pour lui. Faire la liste de ses 50 meilleurs disques de jazz. Lui, c’est mon pote Frank, François Vézina, ami et collègue depuis 1987. J’expliquais la genèse de cette série de chroniques sur le jazz sur Rue Rezzonico.com en début d’année.
Par Philippe Rezzonico
Un succès, cette série? Un peu, oui. Au départ, quelques dizaines de lecteurs, voire, une centaine, probablement amateurs de jazz, lisaient chaque entrée. Depuis des mois, chaque nouvelle entrée en attire cinq fois plus. Nul doute que l’expertise du chroniqueur ainsi que la précision de son langage jazzistique et la poésie de sa plume expliquent ce succès.
Vous avez donc découvert les entrées de 11 à 50, en ordre décroissant, depuis des mois. Vous voulez en apprendre une bonne? Moi aussi.
C’était ça, d’un point de vue personnel, l’intérêt de la chose. J’ai beau écouter du jazz avec Frank depuis un quart-de-siècle, je voulais conserver le même plaisir, la même surprise que le lecteur.
Je n’ai jamais eu plus que trois entrées en mains à l’avance. Quand avez lu l’entrée numéro 44, j’avais déjà en mains les numéros 41 à 43, mais pas plus. Au moment où j’écris ces lignes, je ne sais pas quel sera le Top 10. D’où la nécessité de revenir en arrière avant de sprinter vers la ligne d’arrivée.
Évidences et surprises
Les deux premières entrées (no. 50 et 49), At SportPalast, Berlin (Johnny Hodges) et We Want Miles, étaient des enregistrements de spectacle. Zéro surprise. Le jazz, c’est l’essence de l’improvisation et rien ne lui rend autant justice qu’une prestation sans filet. L’impro, Frank, c’est son affaire.
Je m’attendais à un nombre considérable de disques gravés en spectacles, du moins, plus que ce qu’une liste doit normalement comprendre. Faites l’exercice avec les 50 meilleurs albums rock, et il se pourrait qu’aucune disque de spectacle ne se retrouve dans la liste.
Et j’en attends d’autres. Si le Live at Village Vangard, de Coltrane, et Eric Dolphy Live at the Five Spot ne sont pas dans les dix dernières entrées, je vais être réellement surpris.
J’anticipais peu de disques de jazz vocal, mais pas à ce point. Une seule entrée, April in Paris (no. 45), de Jeri Brown. Pas d’Ella? Pas de Sarah? Espérons que Ella, Live In Berlin, se retrouve dans la première dizaine.
Deux David Murray (nos. 20 et 33)? Prévisible, quand on sait à quel point Frank vénère l’héritier spirituel de Coltrane. Tous les saxophonistes de légende (Coleman, Coltrane, Shorter, Rollins, Carter) y sont, ou presque, ça va de soi, quoique peut-être pas à l’endroit attendu.
Frank aime dire que je suis son « rédacteur en chef » favori. Le rédac-chef, il a sursauté un tantinet quand il a vu A Love Supreme (Coltrane) en 17e position. C’est le seul moment de l’année ou j’ai pris le téléphone. Après le proverbial « Bonsoir » – on se parle toujours de soir, même de nuit, les gars de jazz -, ce fut du genre : « Hé! Ça va pas la tête?! A Love Supreme en 17e position?! »
Comprenez ici que ça aurait été mon numéro un, si je m’étais prêté à l’exercice. Il n’y aurait pas eu de réaction, certes, si ce chef-d’œuvre était apparu en deuxième ou en troisième position (c’est à peu près là que je l’attendais), mais exclu du Top 10?!
Mais, bon… Un rédacteur en chef qui se respecte doit respecter les choix de ses chroniqueurs. Il n’y a eu aucune tentative d’intimidation ni de révisionnisme. Juré.
Un seul Ellington (no. 40)? O.k. Deux Miles (nos. 27 et 49)? Seulement? Mais il pourrait bien y en avoir trois dans le Top 10. Deux Keith Jarrett (nos. 21 et 35)? Bien sûr et il va y en avoir un autre (The Köln Concert) dans le Top 10, j’en mettrais ma main au feu.
Absence de Big Bands? Prévisible. Ce n’est pas son truc. Par contre, on pouvait s’attendre à des disques méconnus, sauf pour des connaisseurs dans son genre. Et il y en a quelques-uns dans cette liste.
La suite?
À quoi va ressembler le Top 10? Je risque quelques prédictions.
Au moins deux Miles Davis, sinon trois : Kind of Blue, sans aucun doute, la bande originale du film Ascenseur pour l’échafaud, logiquement, et probablement Round Midnight ou E.S.P..
Un dernier Sonny Rollins (Saxophone Colossus), car The Bridge (no. 47) est déjà dans la liste. Les Coltrane, Dolphy et Jarrett mentionnés plus haut, et quoi d’autre? Le légendaire Getz/Gilberto, peut-être… Mais je vous garantis un truc, il n’y aura pas de disque de Wynton Marsalis.
Remarquez, je peux me gourer. Cette liste n’en est pas à une surprise près. C’est ce qui fait son charme.
50 – Johnny Hodges, At SportPalast, Berlin
49 – Miles Davis, We Want Miles
48 – Steve Coleman, Curves of Life
47 – Sonny Rollins, The Bridge
46 – Ray Anderson, Old Bottles, New Wine
45 – Jeri Brown, April In Paris
44 – Charles Lloyd, Rabo de Nube
43 – Bill Evans, Waltz For Derby
42 – Wayne Shorter, Adam’s Apple
41 – Ornette Coleman, Something Else: The Music of Ornette Coleman
40 – Duke Ellington/John Coltrane, Ellington & Coltrane
39 – Jason Moran, Ten
38 – Kenny Wheeler, Gnu High
37 – Enrico Pieranunzi, Raconti Mediterranei
36 – Max Roach, Freedom Now Suite
35 – Keith Jarrett, My Song
34 – Air, Air Mail
33 – David Murray, Ballads
32 – Charles Migus, The Black Saint and the Sinner Lady
31 – Lee Morgan, The Sidewinder
30 – Joshua Redman, Moodswing
29 – Carla Bley, Social Studies
28 – Thelonious Monk, Brillant Corners
27 – Miles Davis, Miles Smiles
26 – Don Pullen, Live Again
25 – Dave Douglas, Charms of the Night Sky
24 – Oliver Nelson, The Blues and Abstract Truth
23 – Herbie Hancock, Maiden voyage
22 – Horace Silver, Song For My Father
21 – Keith Jarrett, Standard Live
20 – David Murray, Home
19 – Charlie Haden, Dream Keeper
18 – Bande originale du film, Round Midnight
17 – John Coltrane, A Love Supreme
16 – Benny Carter, Live and Well In Japan
15 – Mal Waldron, One-Upmanship
14 – John Coltrane, My Favorite Things
13 – Art Blakey & the Jazz Messengers, Au Club Saint-Germain
12 – Clifford Brown/Max Roach, At Basin Street
11 – Henri Texier, An Indian’s Week