Tuu-Tuu-Tuu-Tuu-Tuu!! Tuu-Tuu-Tuu-Tuu-Tuu!! Quelqu’un décroche. Une voix un peu hors-combiné lance : « Deux œufs tournés bacon, s.v.p.! » Mmm… Comme entrée en matière pour une entrevue, il faut admettre que ce n’est pas courant. Mais il faut ce qu’il faut avec Louis-Jean Cormier, probablement l’artiste le plus en demande auprès des médias depuis deux semaines. Ça n’arrive pas tous les jours que le Thom Yorke de Karkwa met en marché un disque sans ses collègues de longue date.
Par Philippe Rezzonico
La référence à Radiohead est volontaire. Dieu que l’on a comparé Karkwa aux Britanniques durant des années avant de réaliser que le band québécois était autre chose qu’un clone francophone des gars d’Oxford.
Les membres de Karkwa, eux aussi, ont réalisé qu’ils étaient individuellement des artistes qui pouvaient créer ailleurs qu’au sein de leur groupe établi qui a raflé tous les honneurs en une décennie. D’où la réalisation de François Lafontaine pour Marie-Pierre Arthur, l’album solo de Julien Sagot, et maintenant, Le treizième étage, premier né individuel de Louis-Jean Cormier.
Prévu depuis que les membres de Karkwa ont décidé collectivement de prendre une pause au terme de la tournée du disque Les chemins de verre, Le treizième étage est pour Cormier l’occasion de créer au « je » plutôt qu’au « nous », même s’il n’a nullement renié l’apport collectif, tant au plan des textes que de la musique.
« Ce disque est une émancipation, c’est sûr, confirme Cormier. J’ai pu me positionner de façon privilégiée avec beaucoup de bonheur. J’ai pris une trail de campagne, une route parallèle, un chemin plus terre-à-terre qui me permet de m’exprimer autrement sans tirer un trait sur le passé et d’autres créations dans le futur avec Karkwa. »
Parmi les constats comparatifs que l’on ne peut manquer de faire l’écoute du disque, on note une plume plus concise et moins imagée, quoique pas dénuée de poésie; des structures musicales plus classiques au plan refrain-couplets, sans délaisser complètement une forme éclatée; et un apport vocal collectif plus dense de son nouveau groupe, rayon harmonies.

Louis-Jean Cormier a su définir sa propre identité musicale sans renier celle de Karkwa. Photo d'archives. Courtoisie Alain Décarie.
« J’avais le désir d’aborder la chanson avec des références plus pop tout en ayant une liberté totale des mots. Je voulais que ça vole. J’ai maintenant mon band qui oscille entre les Beach Boys et les Beatles, au plan des harmonies (rires).
« Martin Léon (ndlr: un de ses frères rapaillés du projet musical de Miron) est passé plusieurs fois en studio écouter les chansons et il me disait à quel point c’était fou à quel point mes refrains et mes structures étaient mélodiques. »
Du coffre
Était-ce en raison de son travail avec ses frères rapaillés, sa collaboration avec Rivard, sa production de l’album de Lisa LeBlanc? Toujours est-il que nombre d’entre nous attendaient Cormier dans une enveloppe plus folk que celle qu’il nous offre. Folk, il y a, c’est entendu, sur Le treizième étage, mais il y a également des chansons qui ont du coffre. J’haïs les happy end, notamment, a tout du proverbial char d’assaut.
« L’ascenseur, la première chanson qu’on a fait découvrir, donnait peut-être l’impression que le disque allait être du genre Iron and Wine, mais ça me démangeait de ne pas ouvrir les amplis avec le band que j’avais (Guillaume Chartrain, Marc-André Laroque, Adèle Trottier-Rivard) avec moi. À un moment, lors de la production, j’ai dit « fuck off », on a monté le volume et on a créé des chansons sur des tempos plus rapides que ceux auxquels on avait pensé au départ. »
L’engagement
Karkwa a toujours été un groupe francophone fier de sa langue et de ses origines. Un groupe socialement engagé, mais jamais autant que Cormier ne l’affiche sur son disque. De son propre aveu, cette galette n’aurait pas été la même si elle avait été réalisée un an plus tôt.
« Je pense que pas mal tous les artistes qui vont produire un disque cette année vont être influencés par le printemps érable. La grogne, les casseroles… Oui, Karkwa a toujours été socialement engagé, mais on a joué safe.
« Cette fois, je pouvais parler en mon nom et sans être partisan, j’ai pu décrire mon idéal à moi. Avec Daniel Beaumont (de Tricot Machine), on est allés là au niveau des textes. Et on n’a pas abordé que le printemps 2012 du Québec. »
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Louis-Jean Cormier, Le treizième étage, Simone Records – 4 étoiles
Au Club Soda, les 21 et 22 novembre
Au Grand théâtre de Québec, le 14 décembre