Un des aspects les plus alléchants du festival Montréal en lumière, c’est la diversité musicale proposée. D’un soir à l’autre- et d’une salle à une autre -, l’univers est aux antipodes. Ce fut le cas ce week-end avec Coral Egan, Florence K et Fauve ≠.
Par Philippe Rezzonico
La belle Coral était à La Tulipe, vendredi, pour la rentrée de son album The Year He Drove Me Crazy, quatre mois après le report de cette dite première montréalaise attendue à l’automne 2013.
Tous ceux qui sont familiers avec son catalogue savent à quel point la fille de Karen Young peut déplacer des montagnes par la seule force de sa voix. Mais vendredi, elle était carrément dans une autre ligue, à faire rougir tous ceux qui défilent à une certaine émission télévisée.
Dès Wonderlove, on savait que la chanteuse était dans d’excellentes dispositions avec son groupe soudé. Mais nous sommes tombés à la renverse quand elle a enchaîné avec La voix humaine, de Catherine Major.
Quand la grande Catherine nous interprète l’une de ses chansons-fétiche, nous sommes bouleversés par la livraison intense, l’intériorité du propos, le jeu des ivoires et les arrangements somptueux, surtout quand elle la livre avec des cordes.
Avec Coral, cette chanson devient rien de moins que la symbiose entre le titre et son l’interprète. Foudroyés, étions-nous, par les montées en puissance parfaitement maîtrisées et le jeu de saute-mouton avec les octaves. C’était comme si le corps de Coral était soudainement devenu qu’une voix vibrante. Finalement, entendre Coral chanter du Major, c’est comme entendre Tina Turner s’approprier Proud Mary, de CCR. Impressionnant.
Et Coral a su varier ses offrandes avec le groove lent de I Do, l’émotion pure et la sensibilité de Today, la déchirante Razor Love (de Neil Young), l’autobiographique The Year He Drove Me Crazy, et les fiévreuses Crossfire et What You Doing, nettement plus rock que leurs versions sur disque.
Un excellent spectacle, vibrant et intense à tous points de vue, avec toutefois un bémol, récurrent noté lors des tournées de Coral Egan : trop souvent, sa sélection de titres en show reflète – presque – exclusivement le moment présent. Pour une artiste qui a quatre – très bons – disques derrière elle, c’est incompréhensible que les huit dernières chansons d’une prestation soit tirées du plus récent.
Je me dis que si Coral ressortait plus souvent ses reprises de Moondance et du Poinçonneur des lilas qui l’ont fait connaître sur son premier disque ou My Favorite Distraction – peut-être bien son meilleur single en carrière -, on n’aurait pas l’impression que chaque rentrée attire uniquement ses fidèles.
Madame K
Samedi soir, au Métropolis, Florence K symbolisait un tout autre genre d’artiste et d’univers. Si Coral Egan préfère chanter dans la pénombre sous un éclairage qui la place fréquemment en contre-jour, Florence adore briller sous les feux de la rampe avec son immense piano, ses tenues de soirées et ses magnifiques escarpins noirs et rouges.
Aussi bien l’avouer, les musiques latines, ce n’est pas mon truc. Et il y en a pas mal sur le plus récent disque de Florence K. Mais il y a aussi de la pop et la chanteuse et pianiste a valsé entre les deux mondes sans trop de ruptures de ton.
En fait, on avait l’impression qu’il y en avait pour tous les goûts. I’m Leaving You, avec son irrésistible élan de danse, nous a fait regretter d’emblée le parterre de tables et chaises (air connu), mais on comprend qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement avec le public de Madame K.
La fille de Natalie Choquette fut d’une rare sensualité quand elle a repris I Can’t Stand the Rain, pratiquement en susurrant les phrases, penchée sur son tabouret en regardant la foule dans les yeux.
Ce qu’elle a fait aussi pour Milagros, d’ailleurs, durant laquelle des faisceaux de lumière rouges semblaient être suspendus au-dessus de sa tête. Chapeau à l’éclairagiste, soit dit en passant. On voit l’ambition de cette tournée qui s’amorce.
C’est pourtant quand elle se laisse aller sur le clavier avec un solo inventif et brûlant pour It’s No Use, que Florence K fait merveille. Elle en dit plus long pendant ces quelques instants que lors de ses enchaînements entre les chansons où ses blagues sont quelque peu télégraphiées.
J’espère qu’elle a montré le même d’abandon en deuxième partie, deuxième partie sur laquelle j’ai fait impasse car je voulais aller voir Fauve ≠. À Montréal en lumière, nombre de spectacles d’importance sont à la même heure. Il faut faire des choix déchirants.
Le retour du Fauve
Deux minutes plus tard, on se pointe au Club Soda où Pawa Up First vient de terminer la première partie. Vers 21h20, les Français du collectif Fauve ≠ montent sur les planches, sept mois après avoir joué tant à l’extérieur qu’en première partie de Benjamin Biolay aux FrancoFolies de 2013.
Ça n’a pas pris deux secondes pour mesurer les progrès faits sur scène par le band de l’Hexagone, et ce, même s’ils jouaient avec des instruments prêtés par des musiciens québécois, en raison de la disparition de six bagages, la veille, à leur arrivée à Montréal.
Quiconque n’a vu Fauve ≠ sur scène ne peut réellement réaliser à quel point le débit de paroles du chanteur est supersonique. Ce dernier arpente la scène de gauche à droite tout en déversant un flot intarissable de phrases, le plus souvent aux propos coup-de-poing.
L’an dernier, les projections – aspect essentiel chez Fauve -, étaient très minimalistes. Samedi, toutes les chansons étaient accompagnées de vrais clips, d’images pêle-mêle et de lettrages spécifiques. Qui plus est, tout ça défilait sur un écran tellement grand qu’il occupait entièrement l’arrière-scène comme si c’était un téléviseur de 200 ou 300 pouces. Parfois, ça défilait aussi vite que les paroles et nous étions à la limite du matraquage sensoriel. Percutant.
Curieusement, la musique avait parfois du mal à suivre le doublé paroles/visuel. À un moment, le collègue Olivier Robillard-Laveaux soulignait qu’il manquait peut-être une deuxième guitare ou un autre clavier. Et si c’était tout simplement du volume, ajouterais-je?
Un titre comme Sainte Anne a un « flow » qui peut rivaliser avec un tube d’Eminem. Il faut peut-être uniquement lui donner du tonus. Les gars de Fauve ≠ n’ont même pas besoin d’être de grands musiciens pour en arriver là.
C’est curieux, mais dans ce Club Soda où Fauve ≠ était la tête d’affiche, j’ai eu parfois l’impression que la prestation de l’an dernier au Métropolis (beaucoup moins étoffée) a provoqué plus d’Impact chez la foule. Était-ce parce qu’il n’y avait plus d’effet de surprise pour bien des gens?
Nouveau matériel
À moins que ce soit tout simplement la méconnaissance des nouveaux titres contenus sur l’album Vieux frères – partie 1, paru en France il y a trois semaines. De ceux, offerte en ouverture, Vieux frères et Requin-Tigre, pour ne nommer que celles-là, ont eu droit à un accueil presque timide en regard des Haut les cœurs, Nuits Fauves et Blizzard qui ont balayé la salle. Sur ce plan, les nouvelles Voyous et Loterie ont fait mouche.
Dans le fond, les chansons de Fauve ≠, on veut autant les entendre que les recevoir dans le plexus, tant elles ont de la substance, rayon écriture. Et j’ai l’impression qu’une bonne partie des spectateurs faisait exactement ça : écouter pour saisir toutes les nuances.
L’été prochain, quand Fauve ≠ reviendra au Métropolis en tête d’affiche pour les FrancoFolies, tout le monde connaitra par cœur les paroles de De ceux autant que celles de Blizzard. Ça risque de déchirer nettement plus, comme disent les cousins…