PARIS – Un quart de siècle, c’est bien jeune pour se refaire une beauté. Mais lorsque l’exercice sert à mettre en valeur des collections plus que centenaires, le jeu en vaut la chandelle. Le musée d’Orsay a complété avec panache sa cure de rajeunissement en optimisant au maximum son espace, modifiant sa palette de couleurs et en portant un éclairage nouveau sur ses œuvres les plus célèbres. Visite d’un classique revisité.
Par Philippe Rezzonico
Ça faisait bien cinq minutes que j’étais immobile devant le Bal du moulin de la Galette, mais j’étais incapable d’en décrocher mon regard. J’avais pourtant déjà vu cette toile de légende de Renoir dans le passé, mais elle me faisait plus d’effet que jamais.
La vision harmonieuse de la scène peinte en partie à la Butte Montmartre, la brillance des couleurs, la complexité de l’ensemble, la gaieté qui en émane, la qualité de la patine… Le tableau me semblait même plus grand que ce que me rappelait ma mémoire. Et c’est là que j’ai compris que je ne l’avais jamais vu comme ça. Les rénovations du musée d’Orsay servent essentiellement à redécouvrir le patrimoine mondial sous un jour nouveau.
Ce sentiment de renouveau et de perception majorée de joyaux du XIXe siècle se manifeste à plusieurs égards, entre autres par la mise en place d’espaces thématiques et de la restauration d’œuvres d’art. Mais les deux éléments de changement les plus perceptibles pour ceux qui ont déjà visité le musée se veulent la couleur et la lumière.
Le chambardement des collections qui aura duré plus de deux ans n’aura pas servi qu’à faire de simples retouches cosmétiques. Orsay a subi des rénovations en profondeur. Si l’immense salle principale de l’ancienne gare surplombée par l’horloge de plus d’un siècle demeure familière à notre œil en dépit d’une réorganisation de la position des sculptures de Rodin, Maillol, Claudel et Bourdelle, on plonge dans un univers métamorphosé rayon toiles de maîtres.
Relief nouveau
Dans la galerie des impressionnistes située au 5e étage où trônent comme des frères les Renoir, Monet, Manet, Cézanne et Degas, les planchers de bois foncés, les murs repeints de couleurs sombres et des lampes Solux à intensité variable braquées directement sur les tableaux donnent un relief insoupçonnés aux œuvres.
Les Cathédrales de Monet illuminent comme si elles étaient baignées de soleil. Le déjeuner sur l’herbe – celui de Manet – happe l’œil comme jamais, tandis que Raboteurs de parquet, de Caillebotte, semble greffée au musée. Comprendre ici que l’on a installé la toile de façon à ce que les lattes de bois du plancher de la salle d’exposition d’Orsay soient dans le même angle que celles rabotées par les ouvriers sur la peinture de l’artiste. L’effet de continuité est très réussi.
Plusieurs tableaux laissent de fortes impressions dans d’autres ailes : le portrait Robert de Montesquiou (Boldini), en raison de la précision de son trait et ses lignes fluides ; L’Église d’Auvers-sur-Oise vue du Chevet (Van Gogh), dont le ciel est un feu d’artifices de nuances de bleus ; et presque tous les maîtres exposés dans la salle des néo-impressionnistes (Signac, Seurat), qui utilisaient la technique de pointillisme.
Gigantisme
Cela dit, difficile de trouver plus impressionnant que la gigantesque salle consacrée à Courbet qui comprend quelques-uns de ses tableaux-phares tels L’Atelier du peintre, Un enterrement à Ornans et L’Hallali du cerf (magnifique). On dit gigantesque sans surenchère, car on parle ici de toiles qui font plus de trois mètres de haut sur plus de cinq ou six mètres de large. Imaginez la dimension de la salle…
Nous sommes tous attirés par la peinture pour des raisons différentes. Certains préfèrent ce que les artistes montrent : portraits, natures mortes, grandes fresques, paysages à couper le souffle, scènes de la vie quotidienne. D’autres sont fascinés par la recherche des couleurs, leur complémentarité, leur brillance, leur patine, leur texture. Certains, finalement, aiment ce que la peinture symbolise. Ses courants d’inspiration : impressionnisme, néo-impressionnisme, post-impressionnisme, symbolisme, réalisme, orientalisme, Nabis, Art nouveau, décors modernes… Orsay a tout ça.
Quelques havres gastronomiques, aussi. Le restaurant du premier étage, classé monument historique, est de surcroît d’une rare beauté. Plus convivial et entièrement rénové, le café de l’Horloge vous offre des éclairs de la dimension des œuvres de Courbet, c’est-à-dire, énormes. Vous avez déjà bouffé un éclair au chocolat de plus d’un pied de long ? Je vous assure que vous n’allez pas en manger un second.
Ça donne néanmoins de l’énergie pour poursuivre la visite qui se décline sur plusieurs étages, de profiter de la vue de Paris à travers les horloges de l’ancienne gare dans le pavillon Amont rénové, de « marcher » au dessus du quartier de l’Opéra Garnier réduit en une maquette que l’on observe à travers un plancher translucide, et de s’arrêter, souvent longuement, pour admirer des sculptures massives comme la Porte de l’enfer, de Rodin.