Vingt-et-une minutes et 54 secondes… O.K…. Arrondissons… Vingt-deux minutes. Telle est la durée de la livraison de Walk Like a Giant, offerte par Neil Young & Crazy Horse, vendredi, au Centre Bell.
Par Philippe Rezzonico
Fuckin’ Up? Dix-huit minutes. Ramada Inn? Seize. My Love and Only Love? Douze. Tel un ado de 15 ans qui y va de ses premiers accords avec ses potes dans son sous-sol, Young et ses collègues étaient aussi infatigables que fringants, aussi fiévreux que possédés. Oubliez les cheveux blancs, les rides, les bourrelets et les 45 ans de métier. Vendredi, Crazy Horse était un jeune groupe abrasif comme il ne s’en fait pas de nos jours.
Toute cette attitude d’irréductibles cowboys et de francs-tireurs du rock de garage était toutefois subordonnée à divers paramètres : les immenses boîtes de son de 18 pieds de haut, le drapeau canadien, la mise en scène avec des types en sarrau qui ressemblaient au «Doc» de Back To the Future, et la jolie fille qui déambule, guitare dans son étui, lors d’une splendide Singer Without a Song, l’une des trois uniques chansons de la soirée offertes en mode acoustique.
De ces clins d’œil au passé liés à une mise en scène futile, on ne retiendra que la livraison des nouveaux et anciens titres conjugués au présent : guitares incendiaires, basse pensante, batterie lourde, réverbération exagérée et dissonance exacerbée.
Fait au Canada
Au point que le classique Powderfinger et la toute récente Born in Ontario semblaient provenir de la même séance d’enregistrement. Aparté : il n’y a que Neil Young – et peut-être Leonard Cohen – qui peut faire résonner le O Canada, exhiber le drapeau national et interpréter une chanson intitulée Born In Ontario à Montréal sans provoquer une seule réaction négative.
Évidemment, ceux qui n’avaient pas réalisé que cette tournée reposait sur l’album Psychedelic Pill et l’oeuvre de Crazy Horse et qui espéraient entendre une flopée de titres de Harvest ou Harvest Moon en étaient pour leurs frais.
Hormis l’enchainement de l’incontournable The Needle and the Damage Done (inspirée de la toxicomanie Danny Whitten, de Crazy Horse, décédé il y a 40 Ans) et Twisted Road, où il fut seul avec sa guitare, le grand Neil n’avait pas le goût de ménager la mitraille et d’être en mode folk acoustique. En fait, Neil, il était l’histoire du rock presque à lui seul.
Quand on entendait le fabuleux apport mélodique de Love and Only Love, on se disait que Neil pouvait rivaliser avec les Beatles. Quand Young, Frank «Poncho» Sampedro, Billy Talbot et Ralph Molina harmonisaient leur voix durant The Singer and the Song, l’héritage de Crosby Stills Nash and Young était patent. Et quand on sifflotait avec eux durant Walk Like a Giant, on se disait que Young faisait un clin d’œil à Young Folks, de Peter Bjorn & John, groupe des années 2000 bien de son temps.
Et pour bonne mesure, nous avons même eu droit à une version atomique de Mr. Soul, de Buffalo Springfield, bastion de jeunesse du grand Neil. C’est dans cette mouture sonore du genre apocalyptique que Crazy Horse trouve sa pertinence, avec les excès que cela comporte.
On veut bien d’une livraison explosive digne de Metallica pour Fuck’in Up et Hey Hey, My My (Into the Black), mais dans la vie, trop, c’est comme pas assez. Trop, c’étaient les huit dernières minutes de Walk Like a Giant, quand le quatuor étirait inutilement la sauce en y allant de bruitages sonores qui évoquaient ceux que l’on peut entendre sous la poupe d’un chalutier, par trois mètres de fond. On en aurait pris trois minutes… Pas huit. Nous avions dépassé le stade de la création musicale.
La prêtresse Patti
Et certains solos auraient pu être plus courts sans que personne n’y perde au change. Neil aurait dû faire comme Patti Smith, tiens. En quarante minutes bien tassées, la prêtresse a démontré une fougue supérieure à ce que j’avais vu d’elle en première partie de U2 en 2005, au Madison Square Garden, dans un contexte similaire.
Voix affutée, présence magique et pieds nus, elle a su démontrer tout son art et sa pertinence en alternant les nouvelles Fuji-San et Beneath the Southern Cross, aux monuments que sont Dancing Barefoot, Because the Night et Gloria, the Van the Man, qui était d’une puissance évocatrice à faire peur.
Mais non. Neil, lui, il avait décidé d’avoir la pédale au fond, tout le temps, ou presque. Allez… on lui pardonne ses excès. Dans le fond, on souhaite nous aussi être dans une telle forme à 67 ans. Et puis, un détour dans le garage de Neil, ça fait toujours du bien à l’âme, quoique ça laisse des traces dans le conduit auditif quand on oublie ses bouchons.