
Nelly Furtado présentait la tournée de son disque The Spirit Indestructible au Théâtre St-Denis. Photo Catherine Lefebvre.
«Tickets! Half-price!» Quand tu entends ça de trois revendeurs différents durant les quelque 25 mètres qui séparent le coin de la rue Maisonneuve de l’entrée du théâtre St-Denis, tu sais d’emblée que Nelly Furtado n’offrira pas une prestation dans une salle comble.
Par Philippe Rezzonico
J’étais encore loin du compte… Les six dernières rangées du parterre du St-Denis étaient désertes comme je ne les ai pas vues souvent en un quart de siècle. Pourtant, il y a cinq ans, Nelly était au sommet du monde après trois albums vendus à 40 millions d’exemplaires, deux Grammy et 10 Junos.
Que s’est-il passé? Comment se fait-il que la Canadienne aux racines portugaises ne soit plus capable de remplir le St-Denis?
Il ne s’est rien passé, mon vieux. Ou plutôt, si. Nelly a pris du temps pour elle (trois ans) et elle s’est fait plaisir en gravant un disque en espagnol (Mi Plan) en 2009. Bilan : elle a disparu du radar de la pop anglo-saxonne durant cinq bonnes années. Une éternité en cette époque où une vedette instantanée disparait parfois en quelques mois.
C’était patent, à observer son public. Dans mon coin de parterre, le tiers des spectateurs parlaient en portugais ou espagnol. Les autres, le plus souvent en anglais. Peu de francophones. Quoique la diversité linguistique de la foule montréalaise n’avait rien à voir avec les sièges vides. Ce fut similaire dans presque toutes les villes où s’arrêtait la tournée visant à soutenir le disque The Spirit Indestructible, paru au mois de septembre. Nelly n’a pas fait le plein dans ses salles.
Longue attente
À la limite, on s’en fiche un peu de la cote de popularité d’une artiste, du moment que l’on assiste à un bon spectacle. Et nous avons eu de gros doutes durant un long moment.
Nouvelles chansons nappées d’autotune (The Spirit Indestructible) ou plus rythmées (Waiting For the Night), tubes millionnaires d’un récent passé (Powerless, Say it Right), rien ne passait la rampe. Comprendre ici que personne n’était debout dans le St-Denis, ce qui représente toujours une aberration dans cette salle pour n’importe quel show pop/rock/dance.

Nelly Furtado: la voix est toujours là, quoiqu'elle manquait d'âme en début de spectacle. Photo Catherine Lefebvre.
Nelly avait elle-même l’air d’être sur le pilote automatique. J’avais beau me dire que la configuration n’aidait pas sa cause, elle ne s’aidait pas non plus. Peu de contact et de chaleur avec le public et bien peu d’âme dans les livraisons, sauf Try.
Une bonne note aussi pour cette reprise sensuelle et langoureuse du classique Quando Quando Quando, mais dans l’ensemble, nous assistions simplement à une enfilade de chansons. Point.
Mais après une Turn off the Light dont la vibration se faisait sentir dans la foule, la salvatrice I’m Like a Bird a fait lever tout le monde et les fans ne se sont pas fait prier pour chanter à l’unisson. Il était temps. Nous étions à la moitié du spectacle…
Frénésie
Sauf que spectacle, il y a eu, à partir de ce moment. Bon flash d’enchaîner avec une version semi-instrumentale de Fly Like an Eagle, de Steve Miller, et de poursuivre avec la vivifiante Força, que Nelly chante depuis l’âge de neuf ans.
Profitant de l’arrivée des fans qui avaient quittés leurs sièges pour se masser au devant de la scène, Furtado a commencé à échanger avec eux, entre autres, avant la chanson Bucket List. Les amateurs étaient invités à déposer un souhait dans un seau (bucket) à l’entrée. Nelly en a lu quelques-uns, accompagné d’un de ses musiciens drapé dans une soutane de moine. Là, le concept m’a échappé.
Ce fut une fausse bonne idée, car on se fiche un peu de savoir que Matthew veut tomber en amour en 2013 et Joel ne pouvait venir jouer de l’accordéon sur scène durant Waiting For the Night… parce qu’elle avait déjà été jouée. N’empêche, c’est le genre d’échange qui cimente le lien entre l’artiste et ses fans.
Pour la suite, Nelly avait gardé des munitions. Ça a chauffé. Les chansons Big Hoops (Bigger the Better), High Life, Give It To Me et Promiscuous ont mené à une jolie frénésie. Plutôt rigolo, en passant, ces grandes pancartes sur lesquelles il était inscrit: «La, La, La, La, La! » histoire d’inciter la foule à chanter les « La! La! La! » de High Life.
Bref, personne ne s’est ennuyé jusqu’au dernier rappel qui comprenait Like A Prayer, de Madonna, et une Maneater dynamitée. Mais la scission bien nette entre les deux portions du spectacle met en lumière une autre réalité : après plus d’une décennie de carrière, Nelly épouse tellement de genres (pop/folk/dance/hip-hop/rock) à travers ses chansons qu’elle n’a pas une personnalité musicale bien définie.
Moins hargneuse qu’une Alanis Morissette arrivée avant elle, moins éclatée que Lady Gaga et moins sucrée que Katy Perry, Furtado reprend du service dans la mi-trentaine dans une arène qu’elle a délaissée et où les prétendantes au titre de reine de la pop se sont enchaînées à une allure folle.
La Canadienne a visiblement conservé une base de fans fidèles, mais elle devra faire plus qu’une tournée nationale pour reconquérir ce public qui était le sien au début du siècle. Cela dit, on sait qu’elle a un «esprit indestructible». Elle le chante, d’ailleurs. La tâche n’est donc pas insurmontable.