Blondie! Blondie! Blondie! Blondie! Blondie!
Par Philippe Rezzonico
J’ai fait le saut. Il était 17h35 et j’étais à 30 pieds de la scène de la rivière au Festival Osheaga avec mon pote Stef. Et soudainement, j’entendais la foule réclamer Deborah Harry et ses collègues de Blondie comme s’il s’agissait de Lorde ou de Lady Gaga.
Je dis 17h35, car c’est l’heure précise à laquelle Blondie devait monter sur scène. Dans les faits, le groupe Bahamas a mis cinq minutes de plus pour terminer son set sur la scène de la montagne, à quelque 500 mètres de là.
Impatience des festivaliers? Pas pour cinq minutes, quand même. On ne parle pas de Travis Scott… Et comme nous nous sentions comme des œufs sur une poêle à frire avec le soleil brulant qui chauffait l’asphalte du circuit Gilles-Villeneuve, il fallait mieux ménager ses forces.
Et pourtant, pas d’erreur. La foule réclamait Blondie à hauts cris. Cette foule, devrais-je préciser. Et c’était ça, la surprise. Outre Stef et moi, quinquagénaires certifiés, il n’y avait que des jeunes autour de nous. Très jeunes même. Certains étaient à peine sortis de l’adolescence. Jeunes comme pour une moyenne d’âge de 22 ou 23 ans? Et ce sont ces jeunes qui voulaient voir Blondie?
Oh que oui!
Quand Debbie et ses musiciens sont arrivés sur scène, ce fut la prévisible ovation. Dès que la musique s’est fait entendre, la chanteuse s’est installée au micro et a lancé avec hargne : « One way or another, i’m gonna find ya’! I’m gonna get ya’, get ya’ get ya’! »
Deuxième saut de ma part.
J’entends nettement la voix de Harry dans le micro, mais les 60 jeunes les plus près sur ma gauche chantent, eux aussi. A plein poumons et en sautillant comme si nous étions à un show électro. Woooa!!!
Tous ces jeunes qui pourraient être les petits-enfants de Harry étaient des amateurs sérieux qui connaissaient leurs classiques. Et qui devaient être tellement heureux de la voir sur scène, elle qui ne multiplie pas les passages chez nous (le dernier, concert semi-privé dans les studios de Musimax, en 1999).
Quand Harry s’est retourné pour que tout le monde voie la phrase « Stop Fucking the Planet » sur sa longue cape, ce fut le délire. Quand une icône d’une autre génération touche la corde sensible (l’environnement) d’une génération bien plus jeune, c’est la filialité totale. Et cela a mis la table pour une Hanging On the Telephone pas mal vitaminée, merci.
N’empêche, j’ai l’impression que c’est à ce moment que Debbie a réalisé qu’il se passait vraiment quelque chose. Elle a présenté Fun, l’une des nouvelles chansons de son disque de 2017, qu’elle a dédiée à la foule en brandissant son poing fermé au ciel. Et au-devant de la scène, ça battait la mesure comme s’il s’agissait d’une chanson des années 1970 ou 1980.
Et pour les monuments, ce fut le défilé. L’ouverture dynamité de Call Me a jeté – comme si c’était possible – encore plus de frénésie dans la foule. Et Debbie a enlevé sa cape et s’est mise à danser comme je ne pouvais l’imaginer.
Bien sûr, à 73 ans – qu’elle ne fait pas – la voix de Debbie Harry n’a plus sa puissance d’antan. Donc, pour les passages dans les hautes notes, elle prend les clés plus basses. Et ça va tout seul pour les portions dans les graves, comme lors du rap de Rapture. Remarquez, avec cette foule qui chantait avec elle, ça n’avait guère d’importance.
En fait, plus ça allait, plus la légendaire punk des années CBGB à New York se faisait porter par le plaisir des spectateurs et vice-versa. Le genre de moment presque indéfinissable qui se veut la raison première pour laquelle nous allons voir des concerts. Justement, pas pour les voir, mais bien pour les vivre.
Sur cet aspect, le seul bémol était Chris Stein. Le membre fondateur de Blondie et compagnon de Debbie depuis des décennies était dans un état physique presque inversement proportionnel à sa blonde. Assis, presque absent, le musicien de 68 ans enfilait ses lignes de guitare sans trop de conviction. Cela fait longtemps qu’il n’est plus le guitariste principal du groupe, mais c’était un choc de le voir ainsi.
Mais Debbie, dans sa tenue rose (fuchsia?), elle continuait d’en mettre plein la vue avec The Tide is High, qui a déferlé sur le parterre de l’Ile a été comme une ode rafraichissante. Remarquez, d’où j’étais, nous étions régulièrement aspergés par les indispensables jets d’eau. The Tide is High avec des raccords rock entre les couplets comme je n’en avais jamais entendus. Vraiment super.
Autre nouvelle chanson (Long Time) chantée avec ferveur par Harry, puis, Atomic, Dreaming et Heart of Glass en succession : Debbie chante, Debbie virevolte, Debbie sautille comme si elle était dans la foule avec nous, sourire perpétuel aux lèvres.

Blondie et un public de jeunes. La combinaison parfaite pour un concert hors-normes. Photo gracieuseté evenko-Pat Beaudry
Durant Heart of Glass, Harry dirige la marée de mains qui balance sur le tempo, comme une chef d’orchestre et on la voit reculer devant le champ collectif, comme si elle prenait ça comme une vague d’amour.
Au final : dix chansons en 55 minutes, dont huit monuments. Un grand concert? Globalement, j’ai eu le bonheur de voir mieux dans le temps. Mais quand ta vedette est septuagénaire, tu n’amène pas la même grille d’analyse avec toi.
Je craignais assister à la prestation d’un groupe usé ou tout simplement trop âgé pour tenir la route. J’ai retrouvé une artiste légendaire dont l’engagement et le plaisir contagieux ferait honte à certaines de ses consœurs 20 ans plus jeune, qui plus est, dynamisée par une foule survoltée de jeunes.
On appelle ça un show de légende.