Sonny Burgess et Kern Kennedy: environ 160 ans de vécu pour un solo de piano à quatre mains.

Sonny Burgess et ses Pacers ont annoncé la couleur dès qu’ils ont pris pied sur la scène du Lion d’Or. Au sens propre et figuré. Rouge, la couleur. Comme celle de leurs vestons et cravates. La couleur du Diable et de sa musique, le rock n’ roll, qui est né quand Sonny et ses potes avaient 25 ans et que cette appellation musicale n’était pas encore officiellement certifiée.

Par Philippe Rezzonico

Il y a beau s’être écoulé plus de cinq décennies depuis que Sonny et son pianiste Kern Kennedy ont pris place dans les studios de Sun Records pour enregistrer les furieuses We Wanna Boogie et Red Headed Woman au printemps1956, personne n’a perçu de différence entre les enregistrements studios légendaires et les versions dynamitées que l’on a pris dans la gueule lors de cette neuvième édition du Red Hot & Blue.

Sonny Burgess (au centre), Kern Kennedy (piano) et Jim Aldridge et leurs copains des Pacers ont incendié le Lion d'Or.

Sonny, Kern et leurs copains, tous arrivés au sein des Pacers entre 1957 et 1963, ont du boire un dérivé de la potion magique de Panoramix ou de la plus récente boisson énergisante à la mode pour ados urbains. Comprendre : Sonny a 80 berges bien sonnées, Kennedy, quelques mois d’écart avec lui, et tous les autres sont des septuagénaires – très, très – avancés. On espérait que ça soit, au mieux, honnête et empreint de bonne nostalgie, mais ces gars-là nous ont offert une heure et quarante minutes de pétarade digne des Stray Cats. Juré.

Le cours d’histoire

Vu à cinq pieds de distance  – je touchais littéralement à la petite scène du Lion d’Or -, ça faisait l’effet de voir l’histoire naissante du rock défiler devant ses yeux. Burgess déplaçait sa main gauche sur son manche avec une vélocité et une dextérité qu’envieraient des guitaristes de la moitié de son âge. Quand il se lançait dans des solos épiques, Kennedy rivalisait avec son pote d’écurie chez Sun, un certain Jerry Lee Lewis. Pour avoir vu le « Killer » il y a deux ans, on peut attester que Kennedy lui est supérieur aujourd’hui.

Dire que l’on était heureux quand ils ont balancé dans le tapis We Wanna Boogie et Red Headed Woman, est un euphémisme. Les boys ont livré tout ça avec les cris d’usage qui étaient repris par la foule complètement détrempée dans ce Lion d’or qui s’était transformée en fournaise.

Tous, nous avions compris qu’on voyait le plus vieux band de rock n’ roll encore en activité – probablement pour la seule fois de notre vie. Ces musiciens ont enregistré chez Sun après Elvis, mais la même année que Johnny Cash et Carl Perkins et avant Lewis et Billy Lee Riley. Longtemps, vous ditent ?

Et on n’avait pas que les Pacers devant nous. On avait tout Sun Records. Ça a pris une demi-heure et quelques titres pour saisir que Sonny et ses potes allaient jouer des succès de tous leurs copains qui sont un jour gravé la cire dans le studio de Memphis.

Une impeccable Matchbox (Perkins), une Folson Poison Blues (Cash) plus vraie que nature, Great Balls of Fire (Lewis) à fond la caisse, une incendiaire Red Hot (Riley) et même One Night of Sin (Elvis), soit la version pas retenue (comprendre, censurée) d’Elvis de One Night. Et toutes parfaitement adaptées, puisque tous les musiciens de Sonny – sauf Kern – sont de bons chanteurs qui peuvent porter les classiques d’antan comme si c’étaient les leurs.

Je ne voulais pas me pincer, de peur de me réveiller, mais comme on transpirait tous à grosses gouttes, on savait tous que ce n’était pas un rêve, comme quand on avait vu les Comets (oui, ceux de Bill Haley au grand complet), près de dix ans plus tôt, lors de ce même festival.

Les plus vieux papys du rock n’ roll ont quitté passé minuit, non sans avoir signé d’autres autographes et vendus des tas de disques – incluant des 45 Tours – aux fans encore ébahis. Peu importe s’ils se levaient à six heures du mat pour prendre l’avion, because, un autre show prévu à Memphis, dans moins de 24 heures. Ces increvables-là ont vu neiger.