The Platters: Only them

The Platters. De gauche à droite: Zola Taylor, Tony Williams, David Lynch, Paul Robi et Herbert Reed.

Il y a une scène dans le film American Graffiti où l’on voit Ron Howard et sa blonde danser joue contre joue sur la musique de Smoke Gets In Your Eyes, des Platters. Pas un seul ado ou jeune adulte de race noire en vue autour d’eux dans le grand gymnase. Que des Blancs. Il n’y avait là aucune anomalie dans le scénario…

Par Philippe Rezzonico

Les Platters, dont le fondateur et dernier membre de la grande époque, Herbert Reed, est décédé, mercredi, à l’âge de 83 ans, auront été parmi les premiers groupes à faire graduellement tomber les barrières raciales bien avant la lutte médiatisée des droits civiques dans les années 1960.

Dans le livret de ce qui est la compilation par excellence de ce groupe vocal qui aura marqué l’histoire (The Magic Touch, Platters Anthology, Polygram, 1991), Reed aborde le sujet en rappelant que le groupe était souvent invité par de jeunes blancs à leurs résidences «face à des parents médusés qui nous voyaient débarquer en pensant qu’on était là pour vider le sacré réfrigérateur.»

Avec The Drifters – période Money Honey de Clyde McPhatter – et The Coasters – du temps qu’ils se nommaient encore The Robins -, The Platters figurent parmi les pionniers à avoir fait le pont entre les deux solitudes raciales. Formé à Los Angeles en 1952 par Reed, la première incarnation du groupe n’obtiendra pas le succès escompté.

La percée

L’arrivée de David Lynch aux côtés de Reed et Alex Hodge sera le premier pas vers la formation du groupe qui enregistra les premiers titres pour le label Federal, en 1953, après qu’un certain Tony Williams se soit joint aux autres garçons. C’est toutefois Samuel «Buck» Ram, auteur-compositeur et gérant d’artiste qui allait proposer l’ajout d’une fille au groupe. Une adolescente de 14 ans nommée Zola Taylor allait être recrutée.

Hodge, arrêté pour possession de drogue, sera évincé du groupe et remplacé par Paul Robi. Ram, qui était également le gérant d’affaires du groupe The Penguins, fera signer The Platters chez l’étiquette Mercury.

Ce sont donc Williams, avec sa voix qui pouvait grimper instantanément de plusieurs octaves, Taylor, avec sa voix de petite fille, Reed, Lynch et Robi qui se pointent le 26 avril 1955 dans les studios de Capitol, à Los Angeles.

Après l’enregistrement de I Wanna et Bark, Battle & Ball, chantées par Taylor, le quintette grave Only You (And You Alone). Le reste appartient à l’histoire.

La voix exceptionnelle de Williams qui allait être la marque de commerce du groupe allait résonner dans tous les foyers et dans les radios des bagnoles rutilantes du temps. Et plus d’une fois…

Succès immortels

Si Only You (And You Alone), ballade de référence des années 1950, allait atteindre le sommet du palmarès R&B et la cinquième position du palmarès Pop, The Great Pretender allait trôner à la cime des deux palmarès. Tout comme My Prayer et Twilight Time.

De 1956 à 1959, (You’ve Got) The Magic Touch, You’ll Never Know, It Isn’t Right, On My Word Of Honor, He’s Mine (interprétée par Taylor), My Dream, Enchanted, Harbor Lights et Smoke Gets Into Your Eyes allaient toutes se hisser parmi les dix premières positions de l’un ou l’autre des palmarès. Parfois les deux. Et on vous fait grâce des titres qui n’ont atteint que le Top 20…

Contrairement à des tas d’artistes afro-americains dont les chansons figuraient plus avantageusement au palmarès R&B que Pop, dès 1957, les succès des Platters cartonnent avec autant d’impact sur les ondes des radios destinées à un public blanc. Pas une mince affaire…

Si Elvis a indiqué le chemin des maisons des Blancs aux Noirs en reprenant des titres de Little Richard et des Drifters, les Platters n’auront eu besoin de personne pour passer le seuil de la porte, tout seuls, comme des grands.

Dans toute histoire du genre, après la renommée mondiale, le chanteur veut toujours faire cavalier seul. The Platters ne se sont jamais remis du départ de Williams en juin 1960. Bien sûr, pendant des années les survivants ont œuvré au sein de divers groupes portant l’appellation Platters, parfois au terme de bagarres juridiques. Personne n’était dupe.

Ironique, en vérité, que Reed nous quitte en 2012, lors de la 60e année de création du groupe. Si vous ne connaissez que la demi-douzaine d’immortelles, on vous conseille la compilation dont on parlait plus haut (encore disponible sur Amazon) pour mesurer toutes les nuances. Même les titres totalement inconnus du grand public sont impeccables.

Comme disait Taylor en rétrospective : «Nous étions un groupe béni des dieux. Quand nous montions sur scène, nous étions intouchables. Personne ne pouvait rivaliser avec nous.»

En effet. Only them.