
Adele, que l'on voit lors de l'un de ses passages à Montréal, a dominé la 54e remise des prix Grammy. Photo d'archives. Courtoisie Catherine Lefebvre.
On attentait Adele et Adele a volé le show. Et raflé toutes les statuettes d’importance avec un record à la clé. Pour le reste, nous avons eu quelques solides performances mais encore plus de prestations à oublier. Et l’ombre de Whitney Houston, omniprésente, aura torpillé le gala plutôt que de lui insuffler une réelle émotion, hormis la performance de Jennifer Hudson. Au final, cette 54e remise des prix Grammy aura trop souvent été un gros buffet libre-service.
Par Philippe Rezzonico
Album par excellence et album de l’année catégorie pop vocal (21), chanson par excellence, enregistrement de l’année (remis au réalisateur du single) et meilleur clip (court) pour Rolling In the Deep, ainsi que meilleure performance vocale féminine individuelle (Someone Like You): La Britannique de Tottenham aura fait un carton plein, remportant six statuettes dans autant de catégories où elle était en lice et égalant la marque de Beyoncé, qui avait remporté six Grammys il y a trois ans.
Les Foo Fighters ont remporté le Grammy pour le meilleur album rock (Wasting Light), la meilleure chanson et meilleure performance rock (Walk), la meilleure performance hard rock/métal (White Limo) ainsi que le meilleur clip (long) pour Back and Forth. Belle récolte, mais ils n’ont jamais pu s’imposer en dehors de leurs catégories de genre.
A côté d’Adele et de la bande à Dave Grohl, tout le monde faisait de la figuration, ou presque. Notons quand même les quatre statuettes de Kanye West et le doublé de Bon Iver pour la Révélation et le meilleur album alternatif (Bon Iver). Un peu gêné, le monsieur, qui a décrié les Grammys. Tous les résultats sont disponibles au www.grammy.com.
Bons coups….
Vu que de moins en moins de statuettes sont remises en ondes lors du gala, ce sont les performances qui sauvent le show ou qui le coulent. Adele, pour son retour sur scène après une opération aux cordes vocales, a survolé le Staples Center de Los Angeles avec une version de Rolling in the Deep d’une exceptionnelle maîtrise. Transcendant.
Bruce Springsteen et son E Street Band ont amorcé le show avec puissance et énergie, mais je ne suis pas sûr que la section de cordes était indispensable. Performance vitaminée pour Bruno Mars, le clone des années 2000 de James Brown, et harmonies vocales impeccables pour les vieux Beach Boys réunis. L’hommage country à Glen Campbell – qui était en forme – , la portion avec Civils Wars et Taylor Swift, et la finale d’Abbey Road avec Paul McCartney, Grohl, Springsteen et Joe Walsh étaient dignes de mention.
Vite fait, ça a l’air de faire beaucoup de bonnes choses, mais au final, c’était plutôt court à côté de ce qui n’a pas marché.
… et sérieux ratés
Faire chanter des chansons des Beach Boys à Maroon 5 (Surfer Girl, très moyenne) et, surtout, à Foster the People (Wouldn’t it Be Nice, pas loin d’être ratée), c’était antinomique. Le chanteur Mark Foster ne lâchait pas des yeux le souffleur tellement il n’avait aucune idée de ce qu’il interprétait.
McCartney en crooner? Joli veston mais pas mal soporifique, son truc d’antan. Chris Brown ? Quand le lip-sync est à ce point évident… Rien à ajouter.
Rihanna et Coldplay devaient jouer ensemble. Fausse représentation. Ils n’ont partagé que durant moins d’une minute leur chanson commune (Princess of China), Rihanna chantant We Found Love (très bien) en premier lieu et Coldplay enchaînant avec une Paradise vraiment, vraiment terrible…

Rihanna, qui était plus vêtue et avec une chevelure plus blonde que lors de ce passage à Montréal, a chauffé le Staples Center. Photo d'archives. Courtoisie Pascal Ratthé.
Katy Perry ? Si on enlève toute la quincaillerie et ses cheveux bleus, reste-t-il quelque chose à se mettre sous la dent ? Et que dire que Nicki Minaj… Pour une fois qu’on avait une production relevée avec un peu d’ingéniosité dans la présentation – le montage avec des images de L’Exorciste, très bien – , on tombait sur l’une des chansons les plus moches de la soirée, tous genres confondus.
Et quant au pot-pourri mettant en vedette Chris Brown, Deadmau5, les Foo Fighters, David Guetta et Lil Wayne dans un même segment musical, je vais citer Rock & Belles Oreilles en disant que c’était « particulièrement pourri ».
Brown, les Foo et Deadmau5 en succession, c’est comme mettre Stephen Harper, Pauline Marois et Amir Khadir dans une même pièce et espérer qu’une idée cohérente en sorte. Transposez ça à la musique et vous aurez une idée de la bouillie difforme qui nous a été présentée. Atroce.
Whitney par-ci, Whitney par-là
Jennifer Hudson s’en est bien tirée avec une version sobre et bien sentie de I Will Always Love You pour rendre hommage à Whitney Houston, décédée la veille. Mais quelle mauvaise idée d’inciter à la prière (LL Cool J, pitié!) et de diffuser une des performances de Whitney tout de suite après l’ouverture en force de Springsteen et le suivi de Bruno Mars, vraiment en feu. C’était idéal pour tuer le rythme, ça.
On aurait dû laisser l’émotion s’installer graduellement au lieu de vouloir marquer le coup tout de suite. Ou commencer directement avec l’hommage à Houston. Pas l’intercaler entre deux numéros. Déjà qu’il y avait surchauffe lors du tapis rouge où les animateurs n’avaient qu’une question en tête : « Pis, Whitney ? » Normal qu’une brutale et tragique disparition de la sorte retienne toute l’attention, mais les Américains sont incapables de doser. Récupération à la puissance dix.
Finalement, ce gala tout croche est à l’image de l’industrie. Absence de ligne directrice, pratiquement que des vedettes consacrées en performance, peu d’audace et un désir de jumeler à tout prix des tas d’artistes qui n’ont rien à voir musicalement, histoire d’espérer un rendement sur les ventes de disques dès mardi matin.
Franchement, j’ai eu l’impression tout le long de la soirée d’être en présence d’un buffet gargantuesque et je me suis couché avec une méchante indigestion à force d’avoir consommé trop de plats riches mais sans saveur.