Antoine Gratton a tout juste pris mon appel qu’il me dit qu’il me rappelle dans un instant. En voiture, qu’il est. Pas de problème. Deux, trois, cinq minutes s’écoulent… Pas de retour. Je signale de nouveau. Dès qu’il répond, je lui demande dans quel coin de Montréal peut-il bien être pour ne pas pouvoir se garer à l’instant. « Je suis à South Beach, dit-il. Il n’a pas vraiment de place pour se garer dans le coin. »
Par Philippe Rezzonico
Il y en a qui ne s’en font pas dans la vie. South Beach… A moins d’une semaine d’une rentrée montréalaise. Il y a des artistes qui ressentent visiblement moins de pression que d’autres avant les grands soirs. Comme les boxeurs qui vont s’entraîner en Floride avant des combats d’importance, le créateur de l’album La défense du titre fourbit ses armes loin de l’arène montréalaise.
«Il y a un concept du klaxon très particulier par ici», note Gratton, après avoir garé son véhicule quelque part entre deux voies rapides, à en juger par le bruit qu’on entend en arrière-plan. «Ici, le klaxon, ce n’est pas juste réservé aux urgences…. »
Mardi soir, Gratton montera sur une différente arène – celle du Club Soda – pour sa rentrée, comme tant d’artistes le font cette semaine dans le cadre du festival Montréal en lumière. On dit arène plutôt que scène, parce que l’ami Antoine, comme Yann Perreau, est un performeur né. Un peu comme Jerry Lee Lewis il y a six décennies, donnez-lui un piano, une bouteille et une femme, et il va vous virer un club sans dessus dessous. En fait, je n’ai pas vérifié pour la bouteille ou la femme. C’est une image.
Homme orchestre
On se dit que ça ne va pas être différent cette fois. Quand tu viens défendre sur les planches un album qui comprend des chansons partagées avec Misteur Valaire, Fanny Bloom et Manuel Gasse, on se doute que le principal intéressé n’aura pas tout ce beau monde sous la main.
Remarquez, depuis l’excellente série de cinq spectacles dotés d’autant de configurations différentes de Gratton au Coup de cœur francophone il y a quelques années, on sait que l’artiste peut tout s’approprier dans le feu de l’action.
«Je n’ai jamais été de l’école de ceux qui croient qu’un disque doit « sonner » comme le show, assure-t-il. Cette fois, on va avoir deux drums, deux basses et un piano, mais pas de cordes comme il y en a sur l’album. Ça va être plus heavy, plus axé sur le groove. »
Tout artiste progresse, change, se transforme. Gratton compte au nombre de ceux qui ont le plus évolué depuis leur arrivée sur la scène musicale du Québec. Il suffit de voir le look qu’il affichait sur la pochette de son premier disque (Montréal Motel) et son plus récent. Le Paul Stanley du Québec – référence à son étoile peinte sur son visage – peut vous offrir une kyrielle d’enveloppes sonores sur un même album sans coup férir. Peux pas m’empêcher de penser que les spectacles du Coup de cœur ont eu une influence…
«Oui. La défense du titre est le prolongement logique de ces shows-là, confirme-t-il. Avant, je me disais que les cordes, ce n’était pas pour moi. Avant, je me disais que les orchestrations, c’étaient celles que je faisais pour les autres, mais pas pour moi. L’électro, je me disais que ce n’était pas pour moi. Mais en travaillant avec Misteur Vallaire, j’ai eu la piqure.
« Mais ce ne sont jamais des choix conscients, assure-t-il. Avec Eloi (Painchaud), on était en studio, tout avait été tapé et c’est là que je dit : « Hé… Et si on ajoutait une couche de plus ?» Et on a ajouté des couches.»
Les ruptures amoureuses
Pas besoin d’être devin pour comprendre que nombre des chansons de La défense du titre sont directement liées à une rupture. Depuis que l’on fait des chansons, l’amour et ses déchirures demeurent les matériaux les plus souvent utilisés. Du bon « chialage amoureux », thérapeutique à souhait, ça va de soi.
Dans l’industrie de la musique, tous savent qui est la femme à laquelle Antoine Gratton fait allusion dans New York City, Tes chaleurs et Pinte de rousse. Une artiste que l’on adore tous, la magnifique Mara Tremblay. L’ex-relation est d’ailleurs de notoriété publique.
Pourtant, l’une des chansons du disque, Et ton cœur est ton guerrier, est co-écrite par Gratton et Tremblay. Chanson écrite il y a quelques années, donc ?
«Non. Nous étions déjà séparés, mais nous sommes restés bons amis. J’étais dans une passe pas super et je lui avais envoyé un courriel. Et elle m’a renvoyé un texte qui avait tout d’un poème. J’ai pris le texte du courriel et j’ai fait une chanson avec ça. Je lui ai réécrit en lui disant qu’on avait fini par écrire une chanson ensemble», explique Gratton avec un sentiment de gratitude évident dans la voix.
«J’ai focusé sur le côté positif. J’ai gardé de bons feelings de cette relation. Il n’y a pas de mauvaises vibes. C’est de la bonne nostalgie et je n’ai pas de problèmes à chanter ces chansons sur scène.»
Tout est donc dit. Les vacances sont terminées. Rendez-vous dans l’arène, mardi soir.
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Antoine Gratton, rentrée montréalaise de La défense du titre, mardi, au Club Soda