Ariane Moffatt: femme orchestre comblée et assumée

Ariane Moffatt, sans filtre, avec les nouvelles chansons de MA. Photo Catherine Lefebvre

Quiconque ayant assisté à l’un ou l’autre des spectacles d’Ariane Moffatt cette semaine au Rialto est arrivé à la même conclusion. En langage imagé de hockey, on dirait qu’Ariane avait le goût de «manger les bandes» si l’on se fie à son enthousiasme sur les planches qui ressemblait à une délivrance. Ce qui n’est pas loin de la vérité, en définitive, quand on sait comment MA a vu le jour.

Par Philippe Rezzonico

«Manger les bandes ? Oui, ça serait une bonne façon de décrire mon état d’esprit, rigole Ariane en éclatant de son rire caractéristique. Disons que j’avais faim », ajoute-elle, quelques heures avant son passage de samedi à l’émission Belle & Bum.

Pas mal d’artistes se contentent d’offrir une poignée de chansons lors d’un lancement, le premier véritable spectacle ou la rentrée montréalaise était souvent planifiée des mois plus tard. Pas Ariane. Deux ( !) soirées de lancement, l’album MA joué intégralement – comme si on l’écoutait en séquence à la maison -, puis, des tas de chansons du passé offertes sous forme de relectures parfois saisissantes, genre électro et reggae. Deux vrais gros shows, finalement.

«La notion de lancement traditionnel me semble dépassée, dit-elle. Il y a une immédiateté de nos jours. J’avais vraiment le goût de présenter les chansons sur scène toute de suite. J’avais pas le goût d’attendre six mois avant de monter un show. Et puis, comme les gens payaient, il fallait que je livre la marchandise (petit rire). D’autant plus qu’il y avait toute ma famille, mes amis, le public et les médias.»

Ariane Moffatt a porté tous les chapeaux, ou presque, pour MA. Photo Catherine Lefebvre.

Pour MA, Ariane a porté plus de chapeaux que jamais. Elle fut à la fois auteure, compositrice, interprète, musicienne, et elle a fait les arrangements en plus d’être réalisatrice et productrice – une première. Une paille… Bien sûr, il y a eu des tas de musiciens invités et Pierre Girard a été omniprésent en qualité d’ingénieur de son et de mixeur, mais il est évident que ce dernier-né est un album solo dans le sens le normatif du terme.

«Il y a mon côté warrior dans ce disque. C’est une mission en solitaire. Je savais avant de le lancer que peu importe de quel côté allaient aller les critiques, la seule personne qui allait être critiquée, ça allait être moi (rires). Je me suis mise dans une position extrême de fragilité. A cause de ça, l’accueil que j’ai reçu cette semaine m’apaise beaucoup. Je suis fière de ce que j’ai fait et très touchée de la réaction des gens.»

Maître de sa destinée

Lors du premier soir au Rialto, Ariane a évoqué son apport de productrice en notant que ça n’avait pas été facile tous les jours, même si elle avait tâté de la direction artistique récemment, en s’acquittant de cette tâche pour l’album de David Giguère (Hisser haut). Encore fallait-il avoir un label qui lui permette de le faire.

«Ça tombait sous le sens que je produise le disque avec ma sœur Stéphanie (ndlr : également sa gérante). Quand on a fait MA, on a voyagé léger au plan de la réalisation et il n’y a pas eu de coûts énormes de production. Quand tu fais ça, tu décides des collaborations, de la pochette, de la vidéo… Tu as vraiment une liberté créatrice totale. Et pour Michel Bélanger (le patron d’Audiogram), de voir une auteure obtenir une certaine forme d’affranchissement après toutes ces années, c’est normal.

«Dans le fond, c’est arrivé un album plus tôt…. Il me restait un disque à livrer dans mon contrat actuel. J’ai donc fait un album en licence, clés en main comme on dit, un peu plus tôt que prévu. C’est tout.»

L’effet Trauma

Souvent, un précédent projet dicte la voie à suivre dans l’avenir. Deux composantes liées à la création de la piste sonore de la série télévisée de Fabienne Larouche, Trauma, se retrouvent dans MA : le fait de chanter en anglais et cette propension à tout faire en solitaire.

«Trauma, je l’ai quand même fait avec Joseph (Marchand, le guitariste), nuance Ariane. Mais il est vrai que l’approche était la même que pour MA : On va en studio, on ne se prend pas la tête et on laisse l’instinct nous guider. Pour le fait de chanter en anglais, ça a toujours été une porte ouverte et je savais que ça allait arriver un jour. Trauma a peut-être été le déclic, quoique que pendant longtemps, je n’étais pas sûre de pouvoir maîtriser la langue au point de composer en anglais.»

Ce qui d’emblée relance la discussion touchant les artistes francophones qui chantent en anglais, même si personne ne doute une seconde de l’intérêt d’Ariane Moffatt pour la chanson d’expression française.

«Il y a quelques années, quand j’étais en lice comme révélation aux Victoires (l’équivalent des Félix en France), j’étais la seule artiste qui chantait en français parmi les finalistes. Là-bas (en France), il n’y a pas d’enjeu linguistique. Ils ne se sentent pas menacés. Nous, on doit continuer de chanter en français et de protéger notre langue, mais il faut aussi tenir compte de notre réalité. Je me suis sérieusement posé la question avant d’enregistrer en anglais. C’est ma réalité. Je vis dans le Mile-End, nous sommes en Amérique du Nord, j’ai des amis anglophones, c’est dans notre ADN.

Studio dans le Mile-End, apart dans le Mile-End, lancement dans le Mile-End. Ariane Moffatt aura tout fait à la maison. Photo Catherine Lefebvre.

«Si cela avait juste été un enjeu de globalisation, juste pour vouloir percer le marché anglophone, j’aurais fait un disque uniquement en anglais. Là, le show est structuré et je m’en vais faire quatre ou cinq showcases à South By Southwest (Austin, Texas) dans quelques jours (13 au 16 mars). Mais je vais aussi jouer mes chansons en français, là-bas. Tout comme à Toronto un peu plus tard (El Mocambo, 22 mars). Chanter en français dans des marchés anglophones, c’est aussi affirmer mon milieu francophone.»

Beaucoup de chansons de MA parlent de désir et du corps. Certains auditeurs ont fait une lecture au premier degré de ces textes, ce qui n’est pas erroné. Mais on ressent surtout de la part de l’artiste une forme d’acceptation des choses qu’aucun de nous ne peut changer dans la vie, comme celui du passage du temps dans Mon corps : « Je vieillirais avec, que ça me plaise ou non.»

Effet direct du passage à la trentaine pour Ariane?

«J’ai maintenant 32 ans. Il y a une forme assumée d’acceptation sur ce disque. On vieillit en public dans notre métier. La gestion du corps est presque une PME à l’extérieur de notre art. C’est pour ça que certaines chansons parlent de ça et que d’autres comme All Yours – qui est une lettre ouverte sur l’engagement – parlent de choses qui me touchent au quotidien. Ce disque, c’est moi, sans filtre.»

MA, présentement disponible en magasin et en ligne

Ariane Moffatt à Québec (L’Impérial), le 9 mars ; Gatineau (Musée canadien des Civilisations), le 24 mars ; et Sherbrooke (Théâtre Granada), le 30 mars.