Aznavour : la machine à remonter le temps

Charles Aznavour. Photo d'Archives/Alain Décarie.

Charles Aznavour a réalisé un joli coup double, mercredi, au Centre Bell, pour ce spectacle unique au Québec depuis qu’il a atteint l’âge vénérable de 90 ans. Ce tour de chant devant 7000 personnes aura permis aux spectateurs ainsi qu’à l’auteur-compositeur de remonter le temps.

Par Philippe Rezzonico

Le temps, c’est l’élément central d’un tas de chansons d’Aznavour. Et ce n’est pas d’hier que ses immortelles téléportent l’auditeur dans son passé.

Mais Aznavour lui-même, durant de longs moments, donnait l’impression de revivre son propre passé, comme s’il avait plongé dans une fontaine de jouvence après un passage décevant l’an dernier à St-Jean-sur-Richelieu et une prestation modeste à la Maison symphonique en 2012.

L’assidu à ses spectacles peut vous assurer qu’Aznavour affichait une forme vocale et physique qui rappelait le spectacle de Paris le soir de ses 80 ans (2004). Un grand soir…

Oui, il a noté qu’il avait la voix la plus « cassée » qui soit. Il fait toujours une blague à ce sujet. Oui, il a précisé qu’il avait un prompteur. « Aveu » pas nouveau, lui non plus. Bonne blague d’ailleurs, de se pencher vers ledit télésouffleur durant le refrain de Mes Emmerdes. Comme s’il en avait besoin…

Et il a noté qu’il prenait place plus souvent dans sa chaise. Allons donc… Il se vautrait déjà – jambe par-dessus l’accoudoir – dans cette chaise digne des plateaux de cinéma dans les années 1990 en interprétant Tu t’laisses aller.

Était-ce parce qu’il accordait une importante particulière à ce spectacle célébrant ses 90 ans? Toujours est-il qu’il y avait quelques symboles. L’ouverture avec Les émigrants était similaire avec celle de La dernière tournée (2000 en France, 2002 au Québec), alors que le technicien de son s’affairait à hausser le volume.

Sinon, c’était le présent. Aznavour conjugue toujours au présent avec ses récents titres en début de prestation. On avait déjà entendu La vie est faite de hasards, Viens m’emporter et la magnifique Va – à la hauteur de ses grands classiques -, mais elles étaient nettement mieux livrées que naguère avec une définition sonore impeccable.

Hormis un trou de mémoire durant Ave Maria et une finale mince en clôture de Mourir d’aimer, le grand Charles a livré des interprétations touchantes (L’amour c’est comme un jour), puissantes (Désormais), poignantes (Ma jeunesse) et carrément émouvantes (Hier encore). Entendre, « Hier encore, j’avais 20 ans.. » de la part d’un chanteur qui en a 70 de plus prenait… hier soir, une signification toute particulière.

Était-ce parce qu’Aznavour ne s’était pas produit au Centre Bell depuis qu’il se nommait le Centre Molson dans l’autre siècle? Là aussi, il y avait une vibration qui émanait de la foule rarement vue et même entendue. Certaines chansons ont été saluées par des ovations comme on en voit dans les shows rock.

La finale explosive de Paris au mois d’août : applaudissements nourris. Celle d’Il faut savoir avec le « je ne sais paaaaaaaaaaaaaas ! » à l’infini : la clameur. La finale dansante des Plaisirs démodés : l’ovation. La finale théâtrale de Comme ils disent : les hurlements. Celle de La bohème : l’explosion. Les deux guitares : le délire.  Jamais, de Montréal à Paris en passant par New York, n’ai-je entendu la foule chanter certains refrains avec autant de souffle.

Et quand Aznavour a osé, à 90 ans, virevolter sur lui-même comme il le fait depuis six décennies à la fin de Emmenez-moi, nous avons eu l’impression de voir Superman défier le temps qui semble avoir si peu d’emprise sur lui.

Pouvait-il y avoir de symbole plus fort que de conclure avec Je m’voyais déjà, la chanson qui lui a permis de prendre véritablement son envol sur la scène internationale à l’aube des années 1960? Absolument pas.

Quand il a eu 90 ans au mois de mai, Aznavour a dit à un journaliste qui a évoqué la retraite qu’il allait la prendre à 100 ans. Après ce que l’on a vu au Centre Bell, tout est possible.