Qui est Ronnie Spector, née Veronica Bennett? Des rues de Spanish Harlem où elle a passé son enfance jusqu’à son passage vendredi soir au Rialto pour le festival Pop Montréal, la chanteuse emblématique des girls groups des années 1960 nous a tout dit, tout chanté, tout expliqué, tout nuancé, dans ce qui fut probablement le meilleur survol jamais vu dans une production du genre.
Par Philippe Rezzonico
Film documentaire, musicographie pour la télé, équivalent des VH1 de MTV, Beyond the Beehive est tout ça et sert à montrer la vie, les triomphes et les tragédies de l’interprète des Ronettes dont l’héritage et l’influence auront survécu à toutes les saloperies infligées par son ex-mari, Phil Spector.
Ronnie (Veronica) à six mois, avec sa mère, sa grand-mère, sa sœur Estelle et sa cousine Nedra Talley. On voit tout. Après avoir livré d’entrée de jeu une formidable version de la légendaire Walking In the Rain, Ronnie intercale des extraits de Jambalaya On the Bayou et Why Do Fools Fall in Love, de son idole Frankie Lymon. On comprend tout.
Sans la présence du wall of sound (il n’y avait que quatre musiciens), la voix de Spector est plus que jamais à l’avant-scène affichant une puissance, une flexibilité et une tessiture intactes. Tout comme sa vie est faite de hauts et de bas, il y a un réel contraste entre la Ronnie qui raconte sa vie (drôle, espiègle, triste, au bord des larmes) et celle qui se lève pour la chanter.
Il faut voir la fougue, le regard qui tue, la poitrine provocante, les coups de poing pour marquer le point final d’une chanson… L’aura de la bad girl originale – des décennies avant Madonna, Amy Winehouse et autres Lady Gaga – est intacte.
Ronnie interprète une version déjantée de What I’d Say de Ray Charles, comme elle avait dû le faire au Peppermint Lounge au début des années 1960, quand les Ronettes qui avaient alors « les cheveux dans la couche d’ozone » étaient plus souvent des danseuses que des chanteuses.
Derrière elle, sur le grand écran, on voit le trio twister sur un tempo frénétique au point que lors robes bleues ultra-moulantes remontent le long de leurs hanches. L’effet partagé avant/maintenant est du tonnerre!
Spector remonte au temps des premiers enregistrements, ceux du temps de Colpix Records, pour nous livrer une He Did It saisissante. Cette chanson vieille de plus d’un demi-siècle fut un bide? Il n’y a pas de justice… Dans le Rialto où tout le monde est désormais téléporté à New York, c’est du bonbon.
Tant d’images – certaines jamais vues – et d’audio marquants défilent entre les chansons ou lorsque Ronnie conte son histoire : les Ronettes sur une photo promo avec Joey Dee and the Starliters, le trio avec Dick Clark à American Bandstand, l’affiche promotionnelle britannique où l’on voit les Ronettes – après les succès de Be My Baby et Baby I Love You – en vedette avec le groupe invité à faire leur première partie….les Rolling Stones. Un vrai régal pour les yeux.
Entendre Ronnie parler du moment où John Lennon, George Harrison et Ringo Starr sont arrivés au party privé des Ronettes à Londres en 1964, ou de Keith Richards à 21 ans, c’est comme de lire une encyclopédie du rock. Sauf que là, l’encyclopédie se révèle l’une des rares privilégiées de l’époque à pouvoir nous en parler.
C’est Ronnie elle-même qui a invité Keith et Mick Jagger à rencontrer James Brown lors de leur premier passage aux États-Unis. Elle interprète une version mordante de Time Is On My Side et elle se fait plaisir en interprétant Don’t Worry Baby, des Beach Boys, que Brian Wilson avait écrit en réaction à Be My Baby qui l’avait chaviré.
Mais Phil est omniprésent dans ce spectacle. Ronnie l’évoque en chanson par le biais de Do I Love You?, même si on se dit qu’en 1972, au moment où elle fuit le manoir où elle est retenue prisonnière, c’est peut-être (The Best part of) Breaking Up qui lui venait en tête.
Phil qui appelle la gérance des Stones pour qu’elle informe Keith et compagnie qu’il ne faut plus parler aux Ronettes. Phil qui ramène les Ronettes d’Angleterre… mais qui prend lui-même l’avion avec les Beatles lorsqu’ils débarquent en Amérique à JFK. Phil, toujours, qui interdit à Ronnie de faire les premières parties des Beatles en Amérique et qui envoie sa cousine Elaine rejoindre Estelle et Nedra en tournée.
Phil, encore lui, qui détruit le studio quand Ronnie et Sonny (de Sonny & Cher) partent chercher des hamburgers. Phil, le tortionnaire, qui cloître Ronnie dans sa maison de la Californie de 1968 à 1972. Phil qui menace le panthéon du rock n’ roll de poursuite si les Ronettes y sont intronisées. Phil, le tueur avant la lettre, qui menace Ronnie et sa mère de mort, qui la harcèle au téléphone. Ce type, maladivement possessif est complètement fou.
De toutes ces déconvenues, c’est Ronnie qui triomphe. On voit les images des Ronnie, Estelle et Nedra intronisées au panthéon au Waldorf Astoria en 2007. Gros frissons pour le chroniqueur qui était au même endroit en 2008 pour les intronisations de Leonard Cohen, Madonna, John Mellencamp, The Ventures et The Dave Clark Five.
Triomphe de Ronnie quand on voit les découpures de journaux qui font allusion à la victoire juridique et aux millions de redevances récupérées par les Ronettes. « La petite fille de Spanish Harlem aura fait tomber le plus grand criminel de l’histoire du rock n’ roll ».
Mais c’est en chantant les chansons offertes par ses contemporains et ses successeurs qu’elle triomphe le plus: Try Some Buy Some (moyenne), de Harrison, gravée chez Apple Records; Say Goodbye to Hollywood (excellente), du jeune Billy Joel, chanson réalisée par Steven Van Zandt et enregistrée avec le non moins jeune E Street Band de Springsteen; She Talks To Rainbows (envoutante), de Joey Ramone, You Can’t Put Your Arms Around A Memory (formidable), de Johnny Thunders, et Back To Black (poignante), d’Amy Winehouse.
Et Phil, encore et toujours Phil, qui croupit en prison pour le meurtre de l’actrice Lana Clarkson, mais qui refuse que certaines chansons soient interprétées dans le spectacle. Point technique, les chansons présentées dans une « production théâtrale » doivent obtenir l’approbation de l’auteur/compositeur/ayant droit.
Saut que ça ne prend pas de permission pour interpréter une chanson durant un « concert ». Après avoir quitté la scène après plus d’une heure et demie, on entend une voix qui nous apprend que la portion « théâtrale » du spectacle est terminée et que la portion « concert » va commencer.
Ronnie revient donc sur les premières mesures de Baby I Love You. Elle offre une version dynamitée qu’elle conclut avec un coup de pied à la hauteur de ses yeux – stupéfiant à 71 ans -, comme si elle bottait le cul de Phil. Va te faire foutre, connard! C’est moi qui ai gagné.
Et personne n’en doute une seconde quand le Rialto se transforme en chorale pour Be My Baby que Ronnie chante à plein poumons. Là, placé à quelques pieds d’elle sur la droite de la scène, le temps s’est arrêté. Nous étions tous en 1963. Sans exception. Et tous, nous étions ses « baby » d’un moment. Gigantesque.
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