Bilan spectacles 2013 (1): l’inespéré carré d’as et le formidable joker

The Zombies à Montréal, près de 48 ans après leur passage au Forum en 1965. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victor Diaz-Lamich

Peu importe le nombre d’années passées à faire le métier de journaliste/critique, il y a toujours un artiste ou un groupe que tu rates. C’est très souvent lié à la logistique (affectations, conflits d’horaire de festival, logistique, vacances), mais parfois, c’est la faute du groupe qui s’est dissous en raison de mésententes ou qui a tout simplement mis un terme à ses activités.

Par Philippe Rezzonico

Par le plus curieux et heureux des hasards, quatre de ces groupes et un artiste ont croisé mon chemin en 2013. Tous ont un jour ou l’autre dissous leur band et trois d’entre eux ont littéralement disparu du radar durant des décennies. J’ai écouté la musique de trois de ces groupes durant autant de décades en me disant que jamais, mais jamais au grand jamais je n’aurais la chance de les voir… avant cette année.

C’est pour cette raison que ces quatre performances occupent une place toute particulière dans mon répertoire de spectacles favoris de l’année. Ils sont autant de cadeaux inattendus qu’inespérés et la raison au centuple pour laquelle il ne faut jamais désespérer dans la vie.

Si quelqu’un m’avait dit à l’été 2012 que j’allais voir au cours de la prochaine année The Zombies, The Specials et The Rascals, je l’aurais traité d’illuminé de première.

Et pourtant, je n’ai qu’à fermer les yeux et je revois et réentends instantanément dans ma tête Time of the Season, Gangsters, Mr. Tambourine Man, Good Lovin’ et Hotel California. Quelle année quand même…

The Zombies (Métropolis, Montréal en lumière), 28 février : Vous n’avez pas idée du nombre de fois que j’ai écouté la trilogie de succès She’s Not There, Tell Her No et Time of the Season de l’adolescence jusqu’à cette année, chaque fois, sachant que je n’allais jamais entendre ça sur une scène, du moins, pas par les vrais Zombies. Notez que les Zombies s’étaient séparés en 1967, bien avant mon adolescence.

Puis, dans les années 2000, le chanteur Colin Blunstone et le claviériste compositeur Rod Argent reprennent du service pour un album (Out of the Darkness). Et quelques shows pour le 40e anniversaire du disque Odessey & Oracle en 2008. Et quelques spectacles communs gérés par Steven Van Zandt, l’archéologue musical du E Street Band, par la suite.

Colin Blunstone, une voix avec des airs de jeunesse. Photo courtoisie Montréal en lumière/Victor Diaz-Lamich

Je me mets à rêver. Je n’arrive pas à me rendre à New York (logistique) pour des shows offerts là-bas en 2011, puis, l’annonce tombe en 2012 : The Zombies seront à Montréal en lumière en février 2013, environ 48 ans après leur passage au Forum.

Je me pince. Et j’y vais. Et la panne d’électricité vécue dans le Métropolis ce soir-là (Montréal en lumière qui devient Montréal sans lumière) me donne l’idée d’une critique calquée sur un scénario de film avec des… Zombies. Je ne sais pas si j’ai été plus heureux en 2013 qu’au moment où j’ai entendu Tell Her No.

Roger McGuinn (Théâtre Virgin Corona Mobile, Festival folk sur le canal), 12 juin : The Byrds, années 1960, c’est la quintessence d’un folk-rock estampillé de la marque de sa figure de proue, Roger McGuinn.

Roger McGuinn et sa Rickenbacker 12 cordes. Photo Alain Décarie.

Les Byrds fondateurs ont interrompu leur carrière une première fois en 1973. En 2013, c’est McGuinn qui résume et sublime ce groupe à lui tout seul. Je me suis pincé plusieurs fois, ce soir-là. Un type de 70 ans tout seul avec sa guitare ne pouvait pas logiquement rendre justice aux Mr. Tambourine man, Turn! Turn! Turn! (To Everything There Is A Season) et autres Eight Miles High.

Et pourtant, McGuinn a offert tout ça avec aisance, parsemant le tout d’anecdotes révélatrices liées à la création de ces chansons et de l’état d’esprit de cette période musicale bénie. Magistral.

The Specials (Métropolis, Festival de jazz), 7 juillet : Nés durant les années 1970, The Specials se sabordent alors que je n’ai pas 20 ans. Hormis quelques retrouvailles éparses – parfois sous d’autres appellations -, on ne les verra pas à Montréal durant plus de trois décennies.

C’est pour cette raison que le Métropolis était bondé à ras-bord d’anciens jeunes ainsi que de centaines d’amateurs de musique ska/two-tone dans la vingtaine et la trentaine qui ont grandi au Québec en allant voir à répétition les Planet Smashers et autres Kingpins. Quand j’ai vu la sélection de chansons avant le show, j’ai texté quelques collègues présents à d’autres spectacles pour leur dire de rappliquer au Métropolis au plus vite, s’ils voulaient vivre le moment de légende du festival.

The Specials: trois décennies d'attente qui en valaient la peine. Photo courtoisie FIJM

Avec Do the Dog, (Dawning of a) New Era et Gangsters en succession d’entrée de jeu, le parterre s’est transformé en fourmilière en folie en un rien de temps. Un, deux! Un, deux! Kick! Kick! Kick! Les boys ont salopé Ghost Town en finale, mais nous avons eu droit à une douzaine de titre du mythique disque The Specials. Sorti de là en sueur. L’abandon total.

The Eagles (Canadian Tire Center, Ottawa), 15 juillet: Minés par les bagarres incessantes à l’interne, les Eagles se sabordent alors que je viens d’avoir 18 ans. La pause aura duré 14 ans. Sauf qu’à leur retour, au milieu des années 1990, les Eagles ne passeront pas souvent par le Québec où ils n’ont jamais été aussi populaires que d’autres super-groupes anglo-saxons de la même époque. Un hasard d’affectation me fait d’ailleurs rater le show au Centre Bell au milieu des années 2000.

Bernie Leadon, Timohty B. Schmit, Don Henley, Glenn Frey, Joe Walsh et Stuart Smith. Photo tirée de Facebook.

Bref, quand on apprend qu’ils seront de retour en 2013, je me dis que je ne dois pas manquer mon coup. Finalement, c’est à Ottawa, en début de tournée, que je les vois pour une première fois. Tu as beau avoir écouté Hotel California à satiété en 30 ans, les Eagles, c’est un catalogue bétonné de chansons immortelles. Ça fait le même effet qu’à un show de Bob Seger.

À chaque nouvelle chanson, tu te dis : « Ah oui, il y avait celle-là, aussi. » Et celle-là, puis celle-là, et encore celle-là. L’idée de survoler en chronologie toutes les époques en gardant la demi-douzaine de super bombes pour la fin a également permis de mesurer la qualité du répertoire. En toute honnêteté, le spectacle du 4 novembre au Centre Bell, en fin de virée, fut plus soudé que celui à Ottawa, mais c’est dans la capitale nationale qu’on a eu le coup de cœur.

The Rascals (Royal Alexandra Theatre, Toronto), 23 août: Eddie Brigati, Felix Cavaliere, Gene Cornish et Dino Danelli, les membres de ce groupe de pionniers de blue-eyed soul, ont logé trois chansons no. 1 et six autres chansons au Top-20 des palmarès entre 1965 et 1972. Et après, ils ont fermé boutique durant 40 ans, même si presque tous les gars ont continué à faire de la musique durant cette période.

À part une poignée d’événement retrouvailles, le quatuor a vraiment repris du service dans les années 2010 quand Steve Van Zandt (encore lui) a mis sur pied le spectacle rétrospective One Upon a Dream, présenté à New York en 2012 et à Toronto cette année. Direction 401, donc, pour voir de nos yeux si quatre papys septuagénaires peuvent vraiment être performants.

De gauche à droite: Felix Cavaliere, Gene Cornish, Dino Danelli et Eddie Brigati. Photo promotionnelle.

Oh que oui! Durant plus de deux heures, soutenu d’une alléchante production visuelle, les boys ont offert toutes les incontournables (Good Lovin’, Groovin’, People Got To Be Free). Ils ont joué 15 des 16 titres de l’album The Very Best of The Rascals (Rhino, 1993). Et fort bien. Avec fougue et ferveur. Mick Jagger et Keith Richards ont de la concurrence.

The Rascals en 2014 à Montréal? Normalement, je dirais que c’est impossible, mais après cette année de rêve. Qui sait?