Blues à chaleur variable avec Buddy Guy et Colin James

Buddy Guy. Photo courtoisie FIJM/Benoit Rousseau

Buddy Guy. Photo courtoisie FIJM/Benoit Rousseau

« DAWN RIGHT I’VE GOT THE BLUES!!! » Excusez l’usage excessif des majuscules, mais la première phrase chantée par Buddy Guy, samedi, en clôture du 40e Festival international de jazz de Montréal était d’une telle puissance que nous avons tous fait le saut dans les confortables sièges de la salle Wilfrid-Pelletier.

Par Philippe Rezzonico

Puissance vocale intacte, donc, pour le bluesman qui aura 83 ans le 30 juillet, mais le tout doublé d’une dextérité que l’on pourrait qualifier de phénoménale pour un guitariste. C’est comme si l’Américain qui a reçu le prix B.B. King des mains d’André Ménard n’avait jamais perdu de flexibilité dans les mains et qu’il n’avait jamais souffert des petits bobos qui viennent avec l’âge, notamment l’arthrose ou l’arthrite.

Départ canon avec sa chanson fétiche de son album de 1991, puis enchaînement avec I’m Your Hoochie Coochie Man et I Just Wanna Make Love To You, les deux archi-classiques de Muddy Waters composés par Willie Dixon, séparés avec un incendiaire solo de son guitariste adjoint.

Cela demeure un plaisir sans pareil d’entendre Guy Interpréter ces chansons. Héritier direct de Waters et Dixon, il a côtoyé les deux légendes chez Chess Records, gravant l’album Folk Singer (1964) avec eux. C’est bien plus que d’entre un groupe de légende comme les Rolling Stones jouer du Muddy Waters. C’est le lien sanguin et musical direct. Zéro degrée de séparation, à mes yeux.

Et c’est là que ça s’est gâté quelque peu, après cet exemplaire premier quart d’heure. Charles Aznavour a déjà dit sur scène qu’après 50 ans, la seule raison pour laquelle un chanteur parlait sur scène était pour reprendre son souffle. On n’ira pas jusque-là dans le cas de Guy, mais il est évident que le légendaire monsieur s’est économisé un tantinet.

Il a, bien sûr, démontré toutes les façons de jouer de la guitare. Avec ses doigts, ses dents, ses fesses, une baguette de batterie, par-derrière, etc. Et lorsqu’il est descendu au parterre – ce qu’il fait toujours -, il a poussé l’audace à traverser tout la rangée J de la salle Wilfrid-Pelletier – on parle de 99 sièges, ici – d’ouest en est. Aucun doute, l’ami Buddy a le sens du spectacle. Mais très – trop – souvent, il a mis un terme à ces chansons de façon abrupte, sans réelle finale, afin de se remettre à parler avant la prochaine livraison.

Photo courtoisie FIJM/Benoit Rousseau

Photo courtoisie FIJM/Benoit Rousseau

Plusieurs de ces anecdotes étaient dignes de mention et mettaient en belle perspective la chanson à venir, mais parfois, ça semblait télégraphié. À un moment ça en devenait répétitif au point que le souvenir de la dernière et tragique présence de B.B.King à Montréal m’est venu à l’esprit. Mais non. Ouf!

Chaque fois, on voyait que Buddy avait de la suite dans les idées et revenait à l’essentiel. N’empêche, la fluidité du concert en a grandement souffert. À travers les pauses causeries, on a eu droit à une Fever sexy, une Who’s Making Love un peu racoleuse, à une Feels Like Rain impeccable – mais interrompue -, à une solide Someone Else is Steppin’ In (Slippin’ Out, Slippin’ In) et à des clins d’œil à B.B. King et Hendrix.

Mais on aurait préféré quelques perles bien senties comme cette remarquable Skin Deep, offerte vers la fin du programme, interprétée avec conviction et sans fioritures.

C’est ironique, après avoir été jeté sur le derrière par le duo piano de Vijay Iyer et de Craig Taborn, par le duo entre Roberto Fonseca et Erik Truffaz, par les bandes à Ravi Coltrane et à Joshua Redman et par les concerts majestueux de Norah Jones et de Melody Gardot – pour ne nommer que ceux-là -, le dernier concert en salle de cette 40e présentation du FIJM aura été le moins bon auquel j’aurai assisté.

Colin James en feu

Mais l’avant-dernier, lui, fut excellent, à savoir Colin James qui était en programme double avec Buddy Guy. En faisant irruption dans la salle au parterre, derrière les photographes qui regardaient vers la scène, James a donné le ton avec une reprise déjantée de Boogie Funk, de Freddie King.

Colin James et ses musiciens en ont mis plein les oreilles. Photo courtoisie FIJM/Victor Diaz Lamich

Colin James et ses musiciens en ont mis plein les oreilles. Photo courtoisie FIJM/Victor Diaz Lamich

Pour ce énième passage à Montréal, celui qui a vécu dans notre ville à 18 et 19 ans, a pigé essentiellement dans les relectures blues de ses récents albums qui mettent en vedette Arthur Crudup (Dig Myself a Hole), Otis Rush (It Takes Time), John Hammond (Riding in the Moonlight), en intercalant les chansons (Five Long Years, Why’d You Lie? Just Came Back) qui ont fait son succès et qui tournent encore en boucle sur les ondes de CHOM FM.

Avec un groupe de musiciens exceptionnels, James a maintenu l’intérêt durant plus de 90 minutes en mettant le feu comme on le voit rarement dans la grande Wilfrid-Pelletier avec un dernier rappel homérique de Breakin’ Up the House avec solos de guitare, d’harmonica, de piano et de saxophones. Oui, Colin a cassé la baraque.