Pour quelqu’un qui estime que Huis clos, de Jean-Paul Sartre, et Douze hommes en colère, de Sydney Lumet, sont des chefs-d’œuvre dans leur genre, le visionnement de Carnage, plus récent film de Roman Polanski, n’est rien de moins que l’occasion de savourer les mêmes ingrédients qui ont fait la grandeur des deux classiques dans une mouture artistique éminemment contemporaine.
Par Philippe Rezzonico
Basé sur le texte Le Dieu du carnage, de Yasmiza Reza, ce nouveau film de l’exilé cinématographique le plus connu au monde aurait pu s’intituler Carnage à huis clos ou Deux couples en colère tant Polanski marie avec doigté la tension inhérente des face-à-face féroces vécus en vase clos. Ce qui n’est pas une première pour lui.
Entre la satire sociale et la joute oratoire de haut niveau, c’est la bourgeoisie, le civisme et la société en général qui en prennent pour leur grade dans ce film mis en scène comme une pièce de théâtre et tourné pratiquement en temps réel dans un lieu unique, sauf pour la séquence d’ouverture.
Point de départ tout simple : lors d’une échauffourée de gamins de 11 ans, le fils de Nancy (Kate Winslet) et Alan (Christoph Waltz) Covan casse deux dents à l’aide d’un coup de bâton au fils de Pénélope (Jodie Foster) et Michael (John C. Reilly) Longstreet.
Ce qui s’amorce comme étant une forme de conciliation tendue, mais courtoise, dans l’appartement de Brooklyn des Longstreet, va rapidement dégénérer en un affrontement d’une rare violence psychologique.
Sous leurs extérieurs polis et policés, chacun des membres de ce quatuor infernal va révéler le côté sombre de son âme et faire voler en éclats tous les rapports les plus élémentaires de savoir-vivre.
Entre drame, humour, glissements, affrontements, alliances, chocs et ruptures : Polanski dirige à merveille son groupe qui va en s’entredéchirant de plus belle. Parfois, on a l’impression de voir un combat extrême au vitriol où chacun déverse son fiel sur tout ce qui bouge… et pas toujours sur l’adversaire désigné d’office.
Le village des valeurs
Inquiétant de voir le rapport maladif aux objets de ces gens qui tentent – ou pas – de solutionner les problèmes de leur progéniture. La bourgeoisie dicte ses priorités, faut croire.
Encore plus fascinant de noter que ce qui est essentiel pour l’un est de la foutaise pour l’autre, que ce qui est un crime pour l’une est de l’hérésie pour l’autre. Ceux qui se demandaient si Polanski – qui a co-écrit le texte – avait changé d’idée sur l’âme humaine pendant qu’il était en garde à vue en Suisse en 2010 ont maintenant leur réponse.
Le cinéaste porte encore un regard ironique et grinçant sur ses pairs et notre civilisation. Et c’est peut-être l’unique faiblesse de ce film choc qui fait la part belle aux acteurs qui s’en donnent à cœur joie. Une fois que le constat est établi – et que l’on a reconnu son voisin, son patron ou son conjoint à l’écran -, il n’y a aucune porte de sortie véritable.
Quoique…. Il y en a peut-être une, mais pas pour les adultes qui se sont massacrés durant 80 minutes.
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Carnage, de Roman Polanski, avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly.
4 étoiles