Les journalistes qui assurent la couverture assidue des spectacles ont une qualité qui gâche parfois un peu leur plaisir : ils font leurs devoirs. Comprendre qu’ils se renseignent à fond sur les tournées qui passent et repassent dans la métropole, parfois, au point qu’ils savent à quoi s’attendre. Tant pis si l’on se prive de surprises, nous avons un travail à faire.
Par Philippe Rezzonico
Dans le cas de la tournée In the Name of Love de Diana Ross, qui faisait escale au Centre Bell, deux ans après son passage au Festival de jazz, ça impliquait de savoir si nous allions – ou pas – avoir droit sensiblement au même spectacle qu’à l’été 2014.
En scrutant les sélections de chansons (setlists), on remarquait que Where Did Our Love Go, classique de la période des Supremes, n’était pas toujours au menu. Ça arrive. En revanche, on voyait que Endless Love s’y trouvait. Chouette. On ne l’avait pas entendue il y a deux ans. Un artiste enlève une bonne chanson pour en ramener une autre bonne. C’est bien ainsi.
On voulait aussi savoir si ce spectacle présenté en configuration théâtre du Centre Bell (un peu plus de 4000 personnes) allait disposer d’une mise en scène différente pour un amphithéâtre plus vaste que la salle Wilfrid-Pelletier. Ça, on a su que ce n’était pas le cas quand on a vu le grand drap translucide devant la scène. Quoique dans une configuration rapprochée comme celle-là, ça avait peu d’importance.
Curieusement, la présentation de ce spectacle dans le Centre Bell a généré bien plus d’énergie provenant de la foule. Il y a deux ans, les spectateurs à Wilfrid-Pelletier – comme c’est souvent le cas – hésitaient à se lever, même durant l’ouragan provoqué par la séquence de six chansons de la période Motown de la jeune Diana des années 1960.
Pas de problème à ce sujet lundi soir. Dès les premières notes de I’m Coming Out, le parterre du Centre Bell – et presque tout le monde dans les gradins – s’est levé d’un bloc pour accueillir la chanteuse dans l’une de ses nombreuses tenues de scène spectaculaires et classiques, tout à la fois.
Artiste accomplie qui sait s’ajuster, Diana Ross, 72 ans, a tiré le meilleur de ce Centre Bell réduit. The Boss était tout aussi propice à faire danser tout le monde que la foudroyante version de You Can’t Hurry Love qui, surprise du critique, n’arrivait pas après l’enchaînement habituel formé des incontournables My World Is Empty Without You, Baby Love et Stop! In the Name of Love, mais bien après More Today Than Than Yesterday. Pas grave, ça sera pour plus tard, me disais-je.
Avec six musiciens et trois choristes, ça chauffait sérieusement derrière Ross et même parfois sans elle, quand une chanson était étirée de solos de sax ou de batterie afin de permettre à l’artiste de changer de tenue du côté gauche (pour point de vue des spectateurs) de la scène.
Love Child avait toute sa puissance évocatrice de la période des droits civiques des années 1960, Upside Down a transformé le Centre Bell en discothèque, Why Do Fools Falls in Love a fait chanter tout le monde comme si nous étions en 1956, du temps de Frankie Lymon et de ses Teenagers, et le pot-pourri formé de Love Hangover, Take Me Higher et Ease Down the Road n’était rien de moins qu’incendiaire, mêlant funk et disco.
Ces moments d’intensité étaient temporairement de côté pour savourer les touchantes Touch Me In the Morning et Do You Know Where You’re Going To, cette dernière étant le prélude à la gigantesque Ain’t No Mountain High Enough. Frissons garantis.
Même Michael Jackson – du moins la ligne de guitare de Billie Jean – était de la partie lors de l’habituelle version allongée tel un triple espresso de I Will Survive.
Au rappel, ce fut Reach Out and Touch (Somebody’s Hand) – pas jouée en 2014, tiens – puis encore une fois I Will Survive. Mais pas de Endless Love. Et le trio de succès de Motown que je croyais simplement déplacé ailleurs en début de soirée n’a finalement jamais été interprété.
Au final, cela a mené à une prestation un trop courte de 70 minutes de ce spectacle autrement dynamité et rodé au quart de tour. D’autant plus vrai qu’il n’y avait pas de première partie.
Et cela a aussi mené à cette incongruité : comment peut-on faire impasse sur Stop! In the Name of Love, dans une tournée qui se nomme… In the Name of Love. Aucune idée.