Je l’admets, Duran Duran n’était pas mon groupe de chevet au début des années 1980. Les cinq beaux gosses étaient les favoris de mes amies dont la génération était bien représentée, lundi, au Centre Bell. Mais Duran Duran n’était qu’un boys band en apparence. Simon Le Bon, les trois Taylor et Nick Rhodes ont toujours été des artistes accomplis qui ne m’ont jamais déçu en spectacle.
Par Philippe Rezzonico
Quoique hier, je retournais en courant dans l’enceinte désertée par le Canadien pour une autre raison : la présence de Nile Rodgers et de sa bande de Chic avant Duran Duran, dans ce que j’anticipais comme était le meilleur amuse-gueule de l’année sur les planches.
Il faut dire que j’avais vu Nile et sa bande il y a quatre ans à Montreux, quand le musicien, auteur-compositeur et réalisateur avait repris du service après un cancer. Et j’avais prévu tous les copains qui avaient acheté des billets pour Duran Duran de ne pas arriver en retard. Ils ont bien fait.
Après une courte pause d’un quart d’heure après 20 minutes de prestation de Shamir, le groupe de blanc vêtu s’est pointé en avance sur l’horaire : Nile, ses deux chanteuses et ses musiciens. Message à la foule : « Vous êtes à un show de Chic. C’est une fête disco. Tout le monde debout.»
Ceux qui n’ont pas obtempéré d’entrée de jeu ont dû reconnaître Everybody Dance. D’autres se sont dit : « Tiens!, on connaît ça», à l’écoute de Dance, Dance, Dance (Yowsah, Yowsah, Yowsah) Et quand le groupe a enchaîné avec I Want Your Love, la cause était entendue. Tout le monde était debout au parterre – et dans nombre de gradins – et aller le demeurer jusqu’à la fin.
Si Chic était l’un des grands groupes disco des années 1970, Rodgers a écrit et réalisé pour une foule d’artistes durant les années 1980 et il se fait un devoir de mémoire de le rappeler. Donc, enchaînement percutant de I’m Coming Out et Upside Down, comme Diana Ross elle-même n’a pas osé le faire lundi dernier au même endroit. Le Centre Bell était en ébullition.
Puis, doublé coup de poing formé de He’s the Greatest Dancer et We Are Familly, les tubes de Sister Sledge. Là, le parterre ressemblait à une ruche. Avec Nile, les versions sont plus funk que disco. Et ça chauffe, et ça danse, comme disait quelqu’un à l’époque.
Petit saut dans les années 2010 pour interpréter Get Lucky, de Daft Punk et Pharrell, une autre chanson à laquelle Rodgers a mis la main à la pâte, puis, retour nostalgique et émotif dans le passé quand Nile nous parle de son pote Bowie « qui a changé ma vie », avant de livrer une version festive au possible de Let’s Dance, l’album du même nom ayant été réalisé par Rodgers en 1983. Avec ses chanteuses et son batteur, Rodgers peut reproduire à l’identique n’importe quelle chanson disco/dance de la période 1978-1985. Ce groupe est le E Street Band du disco.
Enchaînée à Let’s Dance, Le Freak a fait sauter la marmite quand 6964 personnes ont entonné : « Freak Out! Le freak, c’est Chic. Freak out! » Incendie au Centre Bell. Chic a eu la bonne idée de faire monter sur scène des dizaines de spectateurs pour la finale de Good Times, à laquelle le groupe a arrimé Rapper’s Delight. Le gros délire.
Que des Top 10
En 60 minutes bien tassées, Rodgers et son groupe ont interprété 11 chansons de Chic ou des chansons co-écrites ou réalisés par Nile. Toutes, peu importe la période de diffusion, se sont hissées parmi le Top 10 de leurs palmarès respectifs (pop, r&b, dance) et quatre d’entre elles ont été # 1. De la dynamite! Message à Laurent Saulnier : tu nous ramènes Chic pour qu’il nous offre cet été son spectacle intégral (90 minutes) vu à Montreux en 2012, o.k. ? Au Métropolis ou sur la Place des Festivals, peu importe.
Après un tel déluge de tubes, il y avait de quoi être inquiet pour Duran Duran qui a suivi sur scène 22 minutes plus tard (pile-poil à 21 heures), quand des centaines de spectateurs faisaient encore la queue pour acheter une bière. Déjà, ce n’était pas une bonne idée.
Encore moins bonne, celle d’amorcer le spectacle avec Paper Gods, chanson-titre de leur nouvel album. Il va de soi d’amorcer une prestation avec une nouvelle chanson quand la tournée sert à présenter un nouvel album, mais quand ta « première partie » vient de virer l’amphithéâtre à l’envers, une amorce avec plus de tonus aurait été indiquée. Ça nous permis d’apprécier la scène étagée avec les écrans intégrés dans les plateformes.
Le Bon, John et Roger Taylor, Rhodes, leurs deux musiciens et leurs choristes ont ensuite ouvert le feu avec un triplé béton : Wild Boys, Hungry Like the Wolf et A View To a Kill, cette dernière précédée de la légendaire ligne de basse du thème de James Bond et soutenue par les images « officielles », quand Roger Moore lui-même fait feu dans la lunette du tireur. Super.
Le triplé a aussi permis de constater que la sono était nettement plus bancale que durant Chic. Il est plus difficile de calibrer le son avec des claviers électroniques que des instruments organiques, mais quand même… Certains arrangements, aussi, étaient discutables. Peut-être était-ce dû au fait que Duran Duran a grandement accéléré le tempo de certains de ses classiques au cours des décennies.
Cela dit, si Le Bon a encore une fichue de bonne voix, on commence à en voir les limites dans les passages les plus ardus, notamment en finale de New Moon On Monday, quand il avait un timbre proche de celui de Bryan Adams pas très naturel.
Avec ses nombreux collaborateurs, le disque Paper Gods est plutôt inégal de ton. Et les nouveaux titres (Last Night in the City, Dancephobia, What Are the Chances) se sont intégrés tant bien que mal à travers les succès confirmés. Une notable exception : Pressure Off, chanson avec laquelle Nile Rogers renouait avec Duran Duran, plus de trois décennies après Notorius. C’était donc l’occasion pour ce dernier de revenir sur scène et pour Duran Duran, d’être plus funk que jamais. Le doublé coup de coup s’est terminé sous des milliers de confettis. Du tonnerre.
Bowie, encore Bowie
Autre moment vibrant avec Planet Earth durant laquelle l’image de Bowie (partout dans cette soirée) apparait sur l’écran, ce qui mène naturellement à l’interprétation de Space Oddity. Classe.
Le Bon avait noté que le groupe allait offrir une performance dénuée « de politique américaine », mais il a quand même précisé au rappel que Save A Prayer allait être dédiée aux amoureux de la musique, dans la foulée des attentats de novembre à Paris. Tremplin pour une Rio déchaînée en finale.
Quoique, pas tout à fait…. Quand tout le band a commencer à quitter la scène sous une ovation monstre, Le Bon a fait signe à ses collègues de revenir pour The Reflex. J’ai cru à un « faux » rappel en raison de l’ajout d’images à l’écran, ce qui laissait supposer que la chanson était quand même prévue au programme.
Mais en vérifiant les «setlists» de la tournée, on voit que The Reflex n’a été interprétée qu’une fois en neuf spectacles depuis la reprise en sol nord-américain au mois de mars.
Ça veut donc dire que Duran Duran ajoute cette chanson au mérite. Comprendre : le groupe l’offre seulement quand il estime que la foule s’est donnée au maximum. Et celle du Centre Bell en a gueulé un coup, hier. Mais je me dis que Duran Duran doit une fière chandelle à Nile Rodgers.