Eagles : un magnifique survol de 40 ans d’histoire

Don Henley et Glenn Frey. Photo courtoisie Live Nation.

OTTAWA – Le périple musical et personnel d’un groupe tient à des tas de choses dans les livres d’histoire: la naissance, les grands succès, les ruptures, les retrouvailles, les chutes dans l’enfer de la drogue, les albums légendaires et les coups de gueule. Tant de choses que, parfois, on oublie ce qu’est la fibre qui tisse tel ou tel groupe.

Par Philippe Rezzonico

Les Eagles puissent dans leur sac à souvenirs pour nous rappeler leur parcours comme on l’a constaté hier soir au Canadian Tire Centre (l’aréna des Sénateurs d’Ottawa rebaptisé) avec la tournée History of the Eagles qui s’arrêtera au Centre Bell le 4 novembre.

Tout le monde, bien sûr, connaît l’immortelle Hotel California, One of These Nights et autres Desperado. Mais rarement les Eagles ont-ils pris le soin de (re) faire le tour du jardin au point de revenir à leur point de départ.

Le départ, ou le début des Eagles, c’est évidemment Glenn Frey et Don Henley. Ce sont d’ailleurs eux qui se pointent sur scène devant le grand rideau, sous les lampes tamisées qui descendent du plafond. L’image est fortement symbolique. Nous étions loin du moment où Henley déclarait que les Eagles allaient se reformer « when hell freezes over » («quand l’enfer brûlera»), lors de la séparation du groupe durant près de 14 ans.

Sourires en coin, guitares acoustiques en mains, Henley et Frey ont interprété Saturday Night comme des Everly Brothers dans leur salon, quoique le «salon » était bondé de plus de 18, 000 spectateurs attentifs et ravis.

Le retour de Bernie

Au fil des ans, on a aussi oublié que les Eagles de légende, ceux de l’album Hotel California, disons, n’étaient pas tous membres du groupe à l’origine. Au départ, les quatre Eagles étaient Frey, Henley, le bassiste Randy Meisner et le guitariste Bernie Leadon. Leadon, justement, rejoint Frey et Henley pour interpréter Train Leaves Here This Morning. Meisner a aussi été invité à participer à cette tournée, mais sa santé l’en empêche.

L’apport de Leadon n’est certes pas similaire à celui d’un Mick Taylor rapatrié lors de l’actuelle virée des Rolling Stones, mais l’intention est la même : on ramène des membres du groupe de toutes les époques. D’ailleurs, combien de spectateurs présents à Ottawa lundi avaient entendu Take It Easy – « la chanson qui a tout amorcé », dixit Frey – interprétée par le guitariste d’origine? Bien peu de gens, en vérité, car Leadon a quitté le « train »… pardon, a quitté le groupe en 1975.

Puis, c’est Timothy B. Schmit, arrivé à la fin des années 1970, qui se joint au trio pour une version apaisante de Peaceful Easy Feeling. Trois minutes plus tard, c’est le guitariste Joe Walsh, membre depuis 1975, qui vient compléter le quintette pour Witchy Woman.

Harmonies superbes

Cette amorce en crescendo fut un modèle du genre et a permis de réaliser à quel point les Eagles, mouture 2013, offrent une unité de son digne de leur passé. Et quelles harmonies!

Une fois les autres musiciens installés, le collectif de dix instrumentistes a proposé des versions ravissantes de son répertoire. On associe d’ordinaire les grandes harmonies aux Beatles ou aux Beach Boys, mais dieu que les Eagles ont des chansons irrésistibles au plan mélodique qui sont magnifiées ici.

Les interprétations de Best of My Love et Lyin’ Eyes, notamment, étaient remarquables, avec cinq ou six guitaristes à l’avant-scène et des harmonies belles à pleurer. Vraiment exquis.

Bernie Leadon, Timothy B. Schmit, Don Henley, Glenn Frey, Joe Walsh et Stuart Smith. Photo tirée de Facebook.

Ce qu’on oublie, parfois, c’est que les Eagles, ce n’est pas l’affaire que d’un chanteur, ni même de deux interprètes. Frey, avec sa voix inchangée, nous offre Tequilla Sunrise, Already Gone, Lyin’ Eyes et Take It Easy  avec aisance.

Henley, avec sa voix légèrement abrasive un tout petit cran en deçà du passé, s’acquitte encore avec aplomb des Doolin’-Dalton, One of These Nights, New Kid In Town (excellente), Life in the Fast Lane et autres Hotel California, passant de la batterie, à la guitare et aux percussions sans coup férir.

Quant à Schmit, sa lourde basse contraste avec sa voix aigüe. Il faut l’entendre chanter I Can’t Tell You Why (splendide) et Love Will Keep Us Alive, écrite pour les retrouvailles du groupe dans les années 1990, dans un registre vocal pas similaire de celui d’un Barry Gibb. Étonnant.

Notre homme Joe

Mais finalement, ce que les disques et certains livres d’histoire ne disent pas, c’est que dans un spectacle des Eagles, c’est Joe Walsh qui vole le show. Particulièrement en deuxième partie, quand il amorce d’entrée de jeu Pretty Maids All In A Row.

Discret à la guitare en première portion de spectacle au point de céder presque tous les solos au guitariste Stuart Smith, Walsh se déchaîne dans la seconde. Tant au chant qu’avec sa six cordes, il soulève la foule avec une livraison de In the City à faire trembler les buildings.

Walsh colore à la slide une Heartache Tonight qui fait bondir les spectateurs du parterre jusqu’au dernier balcon et il s’escrime durant Those Shoes avec un talkbox qui donne l’impression que sa guitare parle, comme celle de Peter Frampton dans les années 1970. Finalement, il est fiévreux durant Funk # 49, une reprise de James Gang, où l’on surprend l’intégration de quelques mesures de Footloose.

Cela va de soi, tout le monde était là pour le solo légendaire d’Hotel California. Secondé par Smith qui joue sur une guitare à double manche, Walsh a propulsé l’enfilade de notes dans les hauteurs de l’aréna. Par moments, il était à ce point collé sur la version studio entendue des milliers de fois à la radio que l’effet était celui d’une machine à voyager dans le temps.

Quand Rocky Mountain Way et Desperado ont bouclé la généreuse prestation de deux heures et 40 minutes, on se disait que c’était quand même incroyable que ce spectacle présenté sur une scène immense et enrichi de commentaires enregistrés sur vidéo n’en était qu’à sa quatrième représentation.

Des chansons rassembleuses et des harmonies superbes qui mènent à un spectacle magnifique. Ça promet pour Montréal en novembre. Les férus d’histoire ne seront pas déçus.