Vers 22h40 mercredi soir, Elton John est revenu sur la scène du Centre Bell, salué par un tonnerre d’applaudissements et un ovation, après avoir livré durant deux heures et demie bien tassées des tas immortelles et des raretés que même les fans purs et durs n’espéraient plus. Pour saluer une dernière fois? Que non. Pour autographier disques, affiches, billets, chandails…. et même des souliers.
Par Philippe Rezzonico
Il a beau être anobli, être riche à millions et être l’une des vedettes de la musique les plus indémodables des 40 dernières années, Elton John aime encore la scène et le public comme au premier jour. Et c’est beaucoup aux amateurs des premières années que s’adressait ce spectacle marathon.
L’an dernier, Sir Elton a mis en marché The Diving Board, un bon disque où il démontrait qu’après 45 ans de carrière, il n’avait pas oublié ce qui avait fait son succès, soit de bonnes chansons aux mélodies accrocheuses. Mais c’est la tournée visant à souligner le 40e anniversaire du légendaire Goodbye Yellow Brick Road qu’il trimbale depuis quelques mois.
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Pas moins de dix chansons/compositions tirées de son album le plus achevé étaient au programme : certaines qui sont toujours de la partie dans ses spectacles depuis leur naissance, d’autres que nous n’avions jamais entendues.
Le pianiste qui aura 67 ans le mois prochain a amorcé sa prestation avec l’instrumentale Funeral For a Friend et Love Lies Bleeding. L’envolée rythmique bâtie sur un irrésistible crescendo nous mettait d’emblée dans le vif du sujet. Si Elton a souvent amorcé ses prestations avec le doublé d’ouverture de son disque fétiche (au Centre Bell en 2006, notamment), il a cette fois enchaîné illico avec la vitaminée Bennie and the Jets et ses accords plaqués, avant d’enchaîner avec la majestueuse Candle In the Wind, sur une voix plus grave que naguère.
Et, comme ça, sans prévenir, nous venions d’entendre ce qui était la face A du double disque vinyle de 1973. Sacrée mise en bouche, il faut avouer… Le public s’est d’ailleurs levé d’un bloc pour saluer chacune des interprétations.
Toujours de Goodbye Yellow Brick Road, Elton avait rapatrié l’effervescence All the Girls Love Alice pour le spectacle de ses 60 ans au Madison Square Garden, le 25 mars 2007, mais on n’avait pas entendu ce titre en 2009 lors du programme double avec Billy Joel à Montréal, pas plus qu’en 2006. Ça faisait du bien de l’entendre chez nous, pour une fois.
Dans la même veine, Grey Seal, I’ve Seen That Movie Too et Your Sister Can’t Twist (But She Can Rock N’ Roll) faisaient office d’oubliées de la guerre de 1914. Je n’avais jamais entendu la première qui était étincelante avec ses ruptures de tempos et le jeu saccadé d’Elton sur ses ivoires. La seconde, qui n’avait pas été jouée en spectacle depuis 1973, a principalement bénéficié d’un long solo du guitariste Davey Johnstone qui accompagne Elton John depuis 41 ans.
Quant à Your Sister Can’t Twist…, qui est la rampe de lancement pour Saturday Night’s Alright For Fighthing sur le disque, elle n’avait pas été livrée sur scène depuis 1974. Comme Elton le chante dans Rocket Man, qui était aussi au programme, cela fait « a long, long time…. » Pour les amateurs qui chérissent cet album depuis des lustres, ce spectacle était un fabuleux cadeau.
Du lustre
Parlant de lustre, celui, géant, qui surplombait la scène, a mené à de jolis effets selon ses variantes de configuration. La plus belle forme fut sans contredit celle durant une Philadelphia Freedom moins décapante que par le passé, quand le lustre, étendu au maximum, ressemblait au toit inversé du Capitole.
L’écran en demi-cercle placé derrière Elton et ses musiciens était intéressant, mais les spectateurs placés au parterre n’ont pas dû voir grand-chose. Le plus souvent, on y montrait des formes géométriques ou des bulles de couleurs en mouvement. Sinon, des vues de la Terre sous tous ses angles. Les meilleurs apports visuels ont été ceux du « village Elton John », pour Goodbye Yellow Brick Road, le damier noir et blanc en mouvement, durant Levon, et les visages de toutes les époques d’Elton, lors de I’m Still Standing.
Si Elton n’a plus les tenues folles du temps de Captain Fantastic, sa longue redingote bleue farcie de brillants était magnifique, quoique quelqu’un peut m’expliquer pourquoi on y voyait écrit sur le dos Madman Across the Water, comme sur le disque du même nom, pour une tournée de Goodbye Yellow Brick Road? Peu importe.
Pianiste hors-pair
En forme et en voix, l’ami Elton a fait réaliser à ceux qui ne l’avaient jamais vu sur scène à quel point il est un pianiste hors-pair, du moins, dans le monde du pop rock. Il fallait entendre ses solos vivifiants durant Bennie and the Jets, Grey Seal, Levon, Rocket Man (avec une variante d’introduction), Your Sister Can Twist… et Saturday Night’s…, cette dernière un peu brouillonne, il est vrai. À moins que ce soit à cause de la sono, plutôt inégale d’une chanson à l’autre. Elton est parfois tous ses héros à la fois : Fats Domino, Leon Russell ou Jerry Lee Lewis.
Chaque fois, l’artiste se lève, poings serrés, pour marquer le coup, saluant la foule et prenant une gorgée avant de se réinstaller à son piano. Elton John arrive même à faire passer le mal de vivre avec plus d’aisance que Radiohead, tiens.
À un moment, il nous sert une enfilade de titres aux propos sombres comme I Guess That’s Why They Call It The Blues, Sorry Seems To Be the Hardest Word (fa-bu-leu-se!), Oceans Away (offerte aux vétérans de la guerre 1914-1918 et à tous les autres), Someone Saved My Life Tonight et Sad Songs (Said So Much). Avec Thom Yorke, on s’ouvrirait les veines. Rien de moins. Avec Elton, on chante et on danse, comme l’a fait cette dame, toute seule, au milieu du parterre, durant Someone Saved My Life Tonight.
Elton aime tellement ses fans qu’il ne réagit même pas quand l’un d’entre eux monte sur scène durant une immense Don’t Let the Sun Go Down On Me. Le type de la sécurité ne savait trop quoi faire quand le fan, très grand mais visiblement pas menaçant, s’est approché lentement du piano. Il s’est immobilisé et dans les dernières mesures, Elton a levé son bras droit et fait un « High Five » avec lui. Tout baigne, les amis.
C’est pour cette raison que le pianiste à lunettes a signifié à quel point le public était important pour lui après sa séance d’autographes et qu’il ne serait pas là, aujourd’hui, sans l’apport de Your Song, dont la livraison fut géante.
Il a ainsi bouclé deux heures et 45 minutes de prestation avec une version juke-box de Crocodile Rock où la foule de 16 700 spectateurs s’est égosillée à chanter les « Laaaaaaaaaaaaaaaaa! Laaaa! Laaaa! Laaaa! Laaaa! Laaaa! »
Que des sourires épanouis et des gens heureux à la sortie du Centre Bell. Et aussi un type qui tentait désespérément de vendre au prix fort un soulier autographié…