Le Festival Osheaga, qui célèbre son 10e anniversaire ce week-end, est né à un moment où Montréal était déjà surnommée « la ville des festivals ». Était-il nécessaire? Indiscutablement. N’importe quel amateur sérieux de musique voyait ce qui se passait ailleurs (Angleterre, Europe, États-Unis) et souhaitait l’apparition d’un festival de musique du même genre où, justement, bien des genres y seraient représentés.
Par Philippe Rezzonico
On le sait, l’aventure n’était pas gagnée d’avance. Mais l’édition 2015 sera la quatrième à afficher salle comble depuis 2012. Retour exhaustif, mise en contexte et survol des coups d’éclats et des ratés des trois dernières années, les années fastes.
2012 : l’année des filles
Le contexte : Quand un festival est devenu un incontournable, ça se mesure bien avant l’arrivée sur le site. Dans le métro, tiens, quand tu fais la queue pour accéder aux rames…
Le chiffre : 40 000 entrées, uniquement pour le vendredi. La première « salle comble » à la septième édition du festival.
Le coup de cœur : Si on m’avait dit qu’un groupe islandais (Of Monsters and Men) allait attirer plus de 10 000 spectateurs devant la scène verte reconfigurée, je ne l’aurais pas cru. Grand moment doublé d’une qualité sonore exceptionnelle.
Le plaisir coupable : Dans un autre siècle, Shirley Manson montait sur une scène et nous étions subjugués. Finalement, rien n’a changé au 21e siècle. Dès que Garbage est sur les planches, nous ne voyons qu’elle. Une prestation marquante, près de 20 ans après un légendaire spectacle vu au Spectrum.
La nouvelle reine : Elle n’était même pas la tête d’affiche. Pourtant, Florence and the Machine a envouté la foule. La présence, la prestance, l’allure, la magnifique robe et la voix de Florence Welch nous aura laissé pantois, même en plein soleil. Dog Days Are Over, chantait-elle. Ça promet pour son retour vendredi soir…
La défonce : Les demi-mesures, ça n’existe pas pour Metric. Dans une forme exceptionnelle, fringante, dominante et cheveux mouillés dans le visage après quelques minutes, Emily Haynes a livré ses tripes, comme si sa vie en dépendait. Comme d’habitude.
La douche permanente : Après deux jours de canicule, la troisième journée s’est déroulée sous la flotte. Tout… le… temps…
Le constat : Osheaga affiche – techniquement – complet pour la première fois de son histoire. Et ça gueule à Saint-Lambert…
2013 : la totale
Le contexte : À moins d’une année de flotte, on sait déjà que 2012 va se répéter. Et avec des têtes d’affiches comme The Cure, Beck et Mumford & Sons, on satisfait toutes les générations.
Le spectacle inespéré : C’était magnifique d’entendre Robert Smith chanter avec une telle voix et de savourer le catalogue sans fond des Cure alors que le groupe était si habité. Il fallait voir les yeux de Smith sur le grand écran pour en être convaincu. Commentaire unanime émis par les collègues et les amis : « Quand est-ce que The Cure a été aussi bon à Montréal? ». Réponse tout aussi unanime : « Les années 1980 ».
Le spectacle d’exception : Après un moment, je me suis demandé quand Beck avait-il été aussi exceptionnel, lui qui est toujours excellent… La réponse m’a sauté aux yeux et éclaté aux oreilles avec les fusions de Tainted Love et Modern Guilt, Think I’m In Love et I Feel Love, ainsi que Billie Jean et Sissyneck. Maîtrise totale, génie musical à l’œuvre et le meilleur spectacle de Beck depuis l’intouchable show de la tournée Odelay en 1997 au Métropolis. C’était tellement bon que tout le monde a oublié avoir vu ce spectacle sous la pluie…
Le plaisir coupable : Il y a quelques spectacles que tu vas voir par pur nostalgie. Entendre intégralement et en séquence toutes les compositions de Last Splash, 20 ans après sa sortie en 1993, était un pur plaisir. Et si les frangines Kim et Kelly Deal n’affichaient plus le look vu au Spectrum en 1995, elles jouaient leurs classiques avec tellement plus d’intensité que naguère.
Le show de légende : New Order. Rien de tel que de voir de vieux fans de musique et de jeunes spectateurs applaudir un groupe majeur du passé avec la même ferveur. Ce fut le cas avec New Order.
Il fallait voir Bernard Sumner saluer la foule sans sourire, de façon un peu froide, dès son entrée en scène, et de le voir quitter, sourire éclatant aux lèvres, après avoir souligné deux fois plutôt qu’une l’accueil délirant des festivaliers avec un « Cheers!!! » retentissant. Autant que la livraison de Blue Monday.
Le défoncé : Tricky. Mais qu’est-il avait pris avant de monter sur scène?
La révélation : Les tambours d’Imagine Dragons.
L’instant magique: Durant la prestation de Mumford & Sons, il était pratiquement impossible de se déplacer tellement que le parc était archi-plein de gens qui faisaient la fête.
Le bonnet d’âne de l’année : K-os, qui quitte la scène après seulement quelques minutes de prestation.
Le bonnet d’âne de la décennie : Le technicien qui a coupé le son à 23h03 quand The Cure interprétait Boys Don’t Cry.
Le constat : Comment va-t-on surpasser une telle édition, ma préférée depuis les débuts?
2014 : l’intensité
Le contexte : Les artistes se bousculent désormais pour participer au festival. La grande scène et la zone VIP sont, ma foi, aussi grosses que les deux scènes principales et les touristes constituent désormais plus de la moitié de l’achalandage du festival.
Le buzz à la hauteur des attentes : Quand j’avais 17 ans, les adolescentes de mon âge ne ressemblaient pas à Lorde. Aucune d’elle n’avait une telle voix, une telle dégaine, une telle présence. Habitée, investie, la Néo-Zélandaise qui donnait parfois l’impression d’être une marionnette retenue par des fils invisibles sur scène a affiché une maîtrise vocale et scénique qui fait défaut à des artistes qui n’ont pas dix ans de carrière.
La communion: Placide ou explosif, servi avec guitares, basse, violon et batterie. Toutes les ruptures, toutes les douceurs et tous les crescendos sont possibles avec Nick Cave et ses Bad Seeds. Nick qui narre, chante ou hurle ses compositions comme si c’était la dernière fois, comme s’il voulait que chaque spectateur ne l’oublie jamais. Et la jeune asiatique qui a touché le doigt de Cave comme dans une fresque de Michel-Ange s’en souviendra toute sa vie. Dense, intense et dramatique.
Le plaisir coupable : Assister au retour des Replacements avec un guitariste supplémentaire nommé Billie Joe Armstrong…
La scène la plus chargée : Celle de Skillex avec son vaisseau spatial.
La nouveauté : Les verres recyclables.
La découverte : Royal Blood.
Le constat : Est-ce que les gens viennent désormais à Osheaga pour les artistes ou pour faire la fête? La question mérite réflexion.
L’évidence: Rendez-vous au parc Jean-Drapeau ce week-end.