Signe du temps qui passe: un musicien – que j’ai découvert lorsqu’il était aussi gamin que moi – recevra, jeudi, sur la scène du théâtre Maisonneuve, le prix Miles-Davis.
Par François Vézina
Que d’eau a coulé sous les ponts depuis que Terence Blanchard ainsi que ses compères Donald Harrison et Mulgrew Miller mettaient le feu aux Jazz Messengers.
Quelques – hum! hum! – années plus tard, l’homme est, à son tour, à la tête d’un groupe de jeunes musiciens prêts à en découdre.
Le ton de Magnetic, le dernier opus de Blanchard, est résolument moderne, moins à cause des effets électroniques bien dans la couleur du temps, qu’en raison d’une section rythmique épatante, véritable dynamo sur pattes. Kendrick Scott, notamment, est gigantesque aux baguettes.
Le quintette cherche moins à éblouir ses auditeurs par des prouesses techniques que par l’établissement de climats quasi cinématographies. Rien de bien surprenant à cela lorsqu’on connaît le grand intérêt que porte Blanchard au cinéma (il a collaboré à plus de 30 films, dont Clocker, Summer of Sam et The 25th Hour).
A ce chapitre, Hallucinations et Pet Step Sitter’s Theme Song, un petit bijou signé Fabian Almazan, sont remarquables.
Le groupe se montre à l’aise dans les moments tendres (Jacob’s Ladder) qu’enlevants (No Borders, Just Horizons).
Véritable mentor, Blanchard accorde beaucoup de place à ses jeunes collègues, aussi bien sur le plan de la composition que de l’exécution musicale. Non seulement il leur laisse une grande place pour s’exprimer leurs idées, il confie souvent à l’un d’entre eux le soin d’introduire la pièce.
Et les résultats sont heureux.
Le patron répond brillamment à son tour au défi lancé par sa troupe. Sa sobriété fait souvent merveille mais s’il peut aussi se montrer fort volubile à l’occasion. On peut toutefois déplorer que les effets électroniques ôtent parfois de l’éclat à sa trompette.
Trois invités viennent donner un coup de main. Si le vénérable Ron Carter, maître du walking bass, passe presque inaperçu pendant la pièce-titre, il est magistral pendant Don’t Run, une petite merveille de hard bop à la sauce néo-orlandaise, bien épicée par le trompettiste et un deuxième invité de marque, Ravi Coltrane.
Le troisième invité est le guitariste Lionel Loueke, un habitué des projets de Blanchard, dont le jeu subtil se marie bien à celui du groupe.
Terence Blanchard a déjà déclaré que le plus simple pour un musicien, c’est d’imiter ceux que tout le monde aime. «C’est si effrayant d’être soi-même» (*). C’est un problème que n’aura pas à résoudre le trompettiste dans l’immédiat: ses protégés comptent bien faire entendre leur propre voix.
*LAYMAN Will, The Fearless Trumpeter: An Interview with Terence Blanchard, in Jazz Today. 16 juin 2013.
P.S. Après la prestation du quintette, le trompettiste accompagnera l’Orchestre national de jazz de Montréal. Le site Internet du musicien annonce qu’au programme figurent entre autres des pièces tirées du Jazz in Film, un album assez agréable malgré les foutues cordes (éblouissante version d’Anatomy of a Murder, sans oublier un fort touchant solo de Blanchard sur Taxi Driver).
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Album du jour 8: Terence Blanchard; Magnetic
Étiquette: Blue Note
Parution: 2013
Durée: 68:05
Musiciens: Terence Blanchard (trompette), Bruce Winston (saxophone ténor), Fabian Almazan (piano), Joshua Crumbly (contrebasse), Kendrick Scott (batterie), Ron Carter (contrebasse), Ravi Coltrane (saxophone soprano, saxophone ténor), Lionel Loueke (guitare)
FIJM: Terence Blanchard au théatre Maisonneuve, le 3 juillet à 19 heures.