FIJM 2014, l’album du jour (9): peinture sans numéros

Vainqueur du prestigieux concours Thelonious Monk en 2011, Kris Bowers – qui sera en concert, vendredi à l’Astral – propose une étonnante synthèse où le jazz n’est qu’un simple prétexte à une musique foisonnante.

Par François Vézina

Le jeune claviériste est un musicien aux influences éclatées. Son parcours est assez révélateur. S’il détient une maîtrise en « jazz performance » à Julliard, il apparaît aussi au générique de l’album de Jay-Z et Kanye West.

Résolument moderne, Bowers n’est pas un homme des frontières. Il préfère superposer les vocabulaires issus de divers genres musicaux pour tenter de créer un nouveau langage.

Si l’aspect instrumental de l’ensemble est fort réussi, les partitions vocales présentent un intérêt plus mitigé.

L’album débute de façon inattendue. Un chant d’oiseau ouvre le bal, gazouillis paisibles auxquels s’amalgame une ligne minimaliste de piano, évoquant plus Philip Glass que Herbie Hancock.

Et puis surgit l’explosion de Wake the Neighbors. Un rythme dur ouvre la voie à la guitare rageuse d’Adam Agati, tranchante et autoritaire, rappelant les belles heures du duo Robert Fripp et Andy Summers. Bowers impose des ruptures de ton pour maintenir l’auditeur dans une sorte de déséquilibre où l’avenir immédiat est impossible à prédire.

Les autres pièces instrumentales sont à l’avenant. Des figures rythmiques marquées par le hip-hop, des arrangements mariant instruments acoustiques aux effets électroniques et des progressions fulgurantes favorisent l’établissement de climats narratifs variés, souvent au cours de la même pièce.

Les solistes, particulièrement le saxophoniste Casey Benjamin, font souvent mouche. Celui-ci est parfois bien servi par l’appui en contrepoint de Bowers, comme sur Drift. Quant au claviériste, son jeu est marqué par l’utilisation de phrases précises, parfois répétées, aux notes détachées.

Les trois chansons sont inégales. Si Forget-er, marquée par la céleste voix de Julia Easterlin et de bons arrangements, est magnifique, les deux autres – WonderLove et Ways of Light -, très inspirées par le R&B, sont loin d’être bouleversantes.

La maison Concord Jazz faisait tellement confiance à Bowers qu’elle n’a pas délégué un musicien expérimenté pour l’appuyer. Dommage, le compositeur aurait sans doute eu besoin d’un mentor pour canaliser son énergie créatrice.

Mais qu’on ne se fasse pas de bile, ce gamin a un bel avenir devant lui, celui d’un musicien qui se refuse à créer de la musique à numéros.

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L’album du jour: Kris Bowers; Heroes + Misfits

Étiquette: Concord Jazz

Enregistrement: Décembre 2012

Durée: 48:12

Musiciens: Kris Bowers (piano, piano électrique, synthétiseur), Casey Benjamin (saxophone alto, vocorder), Adam Agati (guitare), Burniss Earl Travis (basse), Jamire Williams (batterie), Julia Easterlin (voix), Jose James (voix), Chris Turner (voix)