Ce n’est pas une mince affaire, une Invitation au FIJM. Le trompettiste Ambrose Akinmusire est en fort conscient. Ce genre de situation peut «changer une vie», a-t-il confié, humble, à son auditoire lors de son deuxième concert de la série, lundi soir.
Par François Vézina
Humble certes, mais pas du tout intimidé, l’artiste de 32 ans.
L’enjeu n’a pas pétrifié Akinmusire. Deux ans après l’excellent concert de 2012, lui et son quintette régulier ont encore séduit leur public festivalier en proposant un univers en constante évolution d’où ne sont pas exclus les éclats et les explosions.
Le musicien est l’homme des audaces tranquilles. Ce coup-ci, il propose un répertoire partagé entre des pièces de ses deux albums précédents – dont Bubbles et Regret (No More) – et des nouvelles compositions. L’une d’entre elles n’a d’ailleurs toujours pas de titre.
Les thèmes proposés sont souvent complexes et servent de prétexte à l’établissement de climats envoûtants, oscillant entre les passages énergiques et ceux empreints d’une certaine tendresse mélancolique.
Le trompettiste demeure un technicien étonnant, capable de colorer ses interventions d’effets inattendus, d’intervalles inouïs, de ruptures de tons. Ce diable d’Akinmusire peut bouleverser les esprits même en jouant des simples notes étirées.
La cohésion entre les musiciens est grande, particulièrement entre le trompettiste et le saxophoniste Walter Smith, dont le jeu semble devenir de plus en plus personnel.
Amorces complexes à l’unisson, chassés-croisés aventureux, contre-chants judicieux, solos enlevants: les deux hommes, galvanisés par une section rythmique souvent déchaînée, s’épanchent en toute liberté.
Comme il y a deux ans, le pianiste Sam Harris demeure l’ancre du quintette. Il lui donne du souffle et du relief. Ses suites d’accords répétées ne contribuent pas peu au courant envoûtant qui traversera la salle tout au long du concert. Lui et le contrebassiste Harish Ravagan ont coloré le solo déjà frénétique de Justin Brown.
Autre surprise. Le public a eu droit à deux morceaux pendant le rappel: un duo piano-trompette au ton pastel suivi par thème plus dynamique interprété par le quintette.
L’année 2014 est à marquer d’une pierre bleue pour d’Ambrose Akinmusire, couronnant une carrière déjà fort impressionnante. Un album salué par la critique, la couverture de prestigieuses revues comme le Down Beat américain et le Jazz Magazine/Jazzman français, et, ultime consécration, cette série Invitation.
Des années comme celle-ci, comme le disait Max dans les très belles Années Sandwiches, du réalisateur français Pierre Boutron: «il faut savoir mordre dedans et être capable de tout manger».
En espérant que l’appétit d’Akinmusire sera égal à celui de Cannonball Adderly…