Jeune, Terence Blanchard a été influencé par l’œuvre de Miles Davis, comme tant d’autres trompettistes. Je n’ai pas cessé de songer à Davis, dimanche, durant le concert de Blanchard et de son E-Collective, au Monument-National. Je me disais que si Miles était vivant et en santé en 2018, il nous aurait peut-être offert ce genre de prestation.
Par Philippe Rezzonico
Même en 2018, ça m’intrigue toujours un peu quand je vois un ordinateur placé au-dessus d’un clavier. Surtout quand le clavier en question est celui de la tête d’affiche. A 56 ans, Blanchard était vêtu de couleurs vives (pantalons orange) et portait des baskets et une veste de cuir. Un style coloré pour le musicien originaire de La Nouvelle-Orléans, cela s’explique.
Avec l’ordi, une série de pédales qui servaient à transformer le son de sa trompette – ça faisait très autotune à la Kanye West, ce truc – et ses collègues qui pourraient presque tous être ses fils, l’image était presque aussi singulière que la musique.
Le E-Collective, né d’une collaboration entre Blanchard et le batteur Oscar Seaton, entre dans la catégorie des collectifs de jazz fusion nouvelle génération. En gros, tout peut arriver. Ou rien ne se passe. Cela dépend du point de vue.
Pour l’occasion, Blanchard et ses quatre collègues ont interprétés les pièces de leur album Live, « afin de poursuivre la conversation dans notre pays ». Je comprends mieux pourquoi ça va mal aux États-Unis.
Il y autant une rage – j’insiste sur le mot – qu’une liberté d’improvisation totale avec ce groupe. Peu importe la composition jouée, Seaton a cogné, tapé, pioché sur sa batterie comme s’il voulait absolument que ses baguettes se brisent sur chaque frappe.
Blanchard pouvait être parfois tout aussi violent, notamment durant Kaos qui voulait exactement dire ce que ça veut dire. Trompette pointée vers le sol, jambes pliées. On croyait que le trompettiste allait rendre l’âme avec chaque souffle. Sensiblement le même sentiment de défoulement durant Soldiers, une composition dédiée à ceux qui ont perdu leur vie.
A l’opposé, le jeune guitariste Matt Sewell (20 ans), remplaçant au sein du E-Collective, et le pianiste Taylor Eigsti, ont séduit avec des envolées lyriques de première force, notamment durant Unchanged.
Blanchard a même proposé une composition hommage (Dear Jimi) à un autre de ses héros, Jimi Hendrix, où, bien évidemment, Sewell, un protégé de Blanchard, a eu la part du lion.
Globalement, cela a mené à un bon concert axé sur les exploits d’instrumentistes, mais où la ligne directrice était parfois plus aussi ardue à suivre que la ligne créatrice.
Gentiane MG Trio
Avant Blanchard, le Gentiane MG Trio a été à la hauteur du titre de révélation jazz Radio-Canada. Comme prévu, la pianiste, le contrebassiste Levi Dover et le batteur Louis-Vincent Harel ont proposé uniquement des morceaux qui n’ont pas encore été enregistrés.
Dans un style autrement plus classique que celui de Blanchard, la première pièce, dont le titre m’a échappé a mis en lumière le jeu délicat de la pianiste. Puis, Road To Nowhere, ma foi, m’a transporté dans un univers sensible et planant. Vraiment réussi.
Petit malaise avant l’exécution de la suite dont Gentiane MG m’avait parlé en entrevue quelques jours plus tôt. Une dame a crié : « En français! » en raison d’enchaînements exclusivement en anglais. La pianiste a expliqué – en français – qu’elle s’attendait à un auditoire majoritairement anglophone (pour Terence Blanchard), s’est excusée, a fait ses introductions dans les deux langues, puis a enchaîné avec la suite.
Comeback, le mouvement d’ouverture, a semblé plus dynamique que dans sa version enregistrée pour Radio-Canada il y a quelques mois. Gentiane MG a également composé les nouvelles pièces afin que l’apport de ses accompagnateurs soit accru. Harel a particulièrement été mis en lumière.
Pari réussi sur toute la ligne, notamment lors de la dernière pièce proposée après la suite, où Gentiane MG a provoqué des étincelles avec une main droite fulgurante sur les ivoires. De très, très haut calibre.
Les applaudissements nourris, en fait, l’ovation a qui suivi, en disait long sur la qualité de son jeu auprès d’un public féru de jazz.