A-t-on déjà vu André Ménard aussi élogieux en remettant un prix du Festival international de jazz de Montréal à un artiste de réputation internationale? Pas souvent. L’enthousiasme du cofondateur du festival était aux antipodes de l’humilité avec laquelle le tablaïste Zakir Hussain a accepté le prix Antonio Carlos-Jobim.
Par Philippe Rezzonico
En toute objectivité, les éloges étaient pleinement mérités tant le musicien originaire de l’Inde s’est illustré à la Maison symphonique mercredi, tout comme le contrebassiste anglais Dave Holland et le saxophoniste américain Chris Potter. Cette rencontre du jazz toutes les cultures et tous les continents a dépassé les attentes.
Durant une heure et demie, les trois musiciens de première force – qui étaient tous dans un grand soir – ont conservé et échangé à tour de rôle en reprenant des compositions de leurs répertoires respectifs.
D’entrée de jeu, Lucky Seven, une composition de Holland, a permis de mettre en place l’échafaudage. Ouverture rythmique avec les tablas de Hussain, puis ajout de la contrebasse de Holland. Dernier à se joindre à la fête, Potter a ébloui l’assistance avec une longue séquence au saxophone soprano qui a donné le ton au concert. Puis, durant une composition de Potter, ce sont Holland et Hussain qui ont tiré les marrons du feu.
Outre la qualité et la complexité des solos enchaînés à tour de rôle, ce sont les notions de respect et de partage qui ont dominé les échanges. En raison de la nature des instruments, Hussain semblait préférer la notion d’accompagnateur quand Potter était aux commandes, tandis que le discours musical était plus donnant-donnant, avec de multiples relances, quand Holland y allait de ses solos. Il y a vraisemblablement plus d’affinités entre une contrebasse et des instruments percussifs comme les tablas.
Hussain a rendu hommage à son mentor John McLaughlin avec une composition de son cru (J Brother) où chaque membre du trio nous a gratifiés d’envolées spectaculaires, individuelles ou collectives.
Les notes du saxophone et de la contrebasse semblaient danser sous nos yeux pendant que les percussions ressemblaient à autant de chevaux galopants tant les mains de Hussain se déplaçaient à une vitesse folle sur ses multiples tambourins.
Je ne sais trop si je n’ai jamais vu un contrebassiste jouer son instrument comme s’il était en train de glisser sur une guitare slide comme Holland l’a fait à ce moment.
La finale avant le rappel de Good Hope, une composition de Potter, a fait léviter tout ce qui était humain dans la Maison symphonique. Oui, la musique rassemble. Plus que jamais.
Blade, le catalyseur
Dans un tout autre genre, Brian Blade et ses collègues du Fellowship Band ont proposé une soirée de pure beauté, mardi, au Monument-National. Le batteur extraordinaire qui peut accompagner n’importe quel jazzmen ou artiste pop avec succès, était ici le catalyseur de la proposition musicale du groupe qui a maintenant deux décennies de carrière.
D’entrée de jeu, Blade, Jon Cowherd (piano, mellotron), Chris Thomas (basse), Melvin Butler (saxophone ténor) et Myron Walden (saxophone alto et clarinette basse) ont amorcé la soirée tout en délicatesse avec l’interprétation de Stoner Hill.
Touche ultra délicate de Blade avec ses balais, ligne mélodique de toute beauté de Cowherd, harmonies belles à faire pleurer de Butler et Walden : l’invitation au voyage était palpable.
Durant une heure et demie, le quintette a navigué avec raffinement dans les enveloppes sonores jazz aux influences gospel, soul et folk. La complémentarité… Euh… On devrait plutôt dire l’osmose entre Blade et Thomas n’était rien de moins que sidérante.
Parfois, le batteur, le pianiste et le contrebassiste s’escrimaient en trio, tandis que leurs collègues quittaient complètement le terrain de jeu virtuel et physique. Tantôt, ce sont les deux souffleurs qui retenaient toute l’attention, que ce soit en raison de merveilleuses harmonies conjuguées ou à la suite de solos enivrants de splendeur. La clarinette basse de Walden a conféré une texture bien particulière à nombre de pièces.
Au centre du groupe, Blade apportait ce qu’il faut à chacune des offrandes, avec son perpétuel sourire. Discret ou délicat, mordant ou incisif, sa touche si particulière sied à la perfection à toutes les variantes de ton ou de style.
L’approche stylistique sensible qui se veut le lot du plus récent disque du groupe n’a pas empêché quelques irruptions musicales inspirées, lors des solos de Butler et Walden, notamment.
Mais jamais ce quintette ne joue le jeu de l’esbrouffe ou de la surcharge. La puissance émotive de ces compositions suffit amplement à nous toucher sans que la dextérité des instrumentistes ne servent à faire du spectacle. Une exécution irréprochable, des arrangements somptueux et un concert mémorable.