L’Amérique n’a jamais cessé d’inspirer les artistes depuis sa naissance, écrivains ainsi qu’auteurs-compositeurs et interprètes en tête. Il n’y avait qu’eux sur mon parcours au Festival international de jazz de Montréal, vendredi soir. Et ils ont célébré leur Amérique quelques jours avant la date de leur indépendance.
Par Philippe Rezzonico
Dans l’intimiste Gesù où se regroupaient John Medeski, Marc Ribot et JT Lewis à 18 heures, cela n’aura pris que 30 secondes à la salle comble pour comprendre qu’une exceptionnelle pétarade sonore les attendaient.
Lewis, le batteur, a donné le ton avec une frappe nette et Ribot, le guitariste, a propulsé tout le monde à la vitesse d’un vieux Duster qui tente de faire le 0-100 kilomètres heures en 5 secondes. Et durant 90 minutes, hormis quelques variantes de ton et de tempos, ce fut du même calibre.
Invité de l’organiste Medeski pour ce premier concert de la série Invitation, Ribot a amorcé les débats avec des attaques de guitare rageuses qui semblaient sorties des marécages du New Jersey dont il provient. Chacune de ses offrandes était reçue comme un cadeau par Medeski et Lewis qui, selon le cas, l’accompagnaient où lui répondaient.
On a atteint un sommet d’intensité avec Sookie Sookie, succès soul de Don Covay repris par Steppenwolf, durant laquelle Ribot a joué à la limite du décrochage, tel un possédé. J’ai cru un instant qu’il allait tomber en bas de sa chaise.
En face, le Hammond B-3 de Medeski, originaire du Kentucky, n’était plus un orgue, mais bien un brasier incandescent duquel il faisait varier la température selon la cuisson désirée. Par moments, j’avais l’impression d’entendre Steve Winwood, période Spencer Davis Group, dans un soir de débauche sonore.
Entre les deux, Lewis, membre fondateur de Living Color avec Vernon Reid et accompagnateurs d’une foule de grands de la pop et du jazz au cours des décennies, a parfaitement arrimé les échanges avec une touche ferme et originale.
Une heure et demie d’explosions sonores, de passion débridée et d’inspiration de grand cru pour ce trio du tonnerre.
L’Amérique selon Ry
Trois heures plus tard, dans un théâtre Maisonneuve bondé (je me dis que Wilfrid n’aurait pas été trop grande), Ry Cooder est venu chanter son Amérique. Son Amérique, c’est celle qui nous permet de rêver en voyait des paysages à perte de vue, celle qui nous rappelle les légendes de la musique et c’est, aussi, une Amérique d’unité.
On se laisse donc bercer par les premières mesures qu’il nous offre avant l’arrivée de son groupe, en visualisant des grandes plaines et des paysages désertiques à perte de vue. Cooder avait amené tous ses mentors et ses inspirations avec lui : Woody Guthrie, Blind Willie Johnson, Johnny Cash et même Elvis.
On comprend l’intention, mais on comprend aussi le discours de l’artiste à travers ce qu’il nous offre : Vigilante Man, Everybody Ought to Treat A Stranger Right, The Very Thing That Makes You Rich (Makes Me Poor).
Les titres parlent d’eux-mêmes, mais Ry place les choses en contexte et nous offre un dialogue fictif entre Jésus et Woody Guthrie qu’on n’a pas trop de misère à penser qu’il pourrait être vrai si on croyait en dieu. Et la chanson Jesus and Woody en prime. Le hic, c’est que certains Américains y croient un peu trop, à dieu. Comme ils croient un peu trop à la puissance des armes.
Avec ses guitares au son si caractéristique, son saxophoniste baryton qui apporte une couleur phénoménale à certaines chansons et à l’apport du trio vocal noir des Hamiltones, Cooder nous fait voyager sans jamais que notre conscience ne soit au neutre. Une approche tout en douceur.
Mais Ry aime se faire plaisir et nous faire plaisir. Sa version de Get Rhythm, plus raffinée et plus mélodique que celle de Johnny Cash, était belle à pleurer. Et quelle relecture de Little Sister (Elvis) avec l’apport des chœurs! C’était somptueux. Ry Cooder n’a pas volé son Spirit Award.
L’Amérique qui danse
À 23 heures, sous les étoiles et un mercure qui frisait encore les 30 Celsius (le bonheur), Boulevards a mis tout le monde dans sa poche. Boulevards, c’est le véhicule musical de Jamil Rashad, un artiste originaire de la Caroline du Nord, comme le trio des Hamiltones.
Sauf qu’à l’opposé des instrumentistes dont on a parlé plus haut, Rashad danse, danse et danse encore. Durant l’heure entière de sa prestation, je n’ai pas cessé de taper du pied une seconde.
On pourrait arguer que le monsieur et ses collègues est un autre bon groupe actuel qui fait danser, comme tant d’autres font danser. C’est plus que ça. Quiconque ayant un minimum de références musicales va reconnaître quelque chose du passé (inscrivez ici le nom de n’importe quel groupe ou artiste afro-américain des années 1960 à 1980) dans cette mixture irrésistible.
Qui plus est, c’était la tout première fois que Boulevards se présentait sur une scène avec autant de musiciens. Rashad, qui dégoulinait de sueur, n’avait jamais dépassé la formule en trio.
L’Amérique n’a pas toujours le même visage, physique ou musical, mais hier, on a eu droit au meilleur de trois générations différentes.